Des biologistes marins ont mené une étude surprenante. Pour reconstruire l’historique des événements stressants subis par les baleines ces 150 dernières années, ils en ont analysé les effets dans… leur cérumen ! Leur cire d’oreille contient en effet un indicateur particulièrement précis de leur niveau de stress : le cortisol.

« Les oreilles c’est comme les pieds… » Et on vous épargne la suite ! Une assertion valable pour l’Homme, certes, mais dont la baleine, elle, n’a cure. Une aubaine pour les scientifiques, qui ont en effet tiré parti de l’hygiène auditive approximative des cétacés pour reconstruire l’évolution historique de leurs niveaux de stress. Une démarche pour le moins surprenante, dévoilée dans une récente étude publiée dans la revue Nature Communications.

« C’est la toute première étude quantifiant temporellement des schémas de stress chez les baleines à fanons », affirme Stephen J. Trumble, co-auteur des travaux et maître de conférence en biologie au Baylor University’s College of Arts & Sciences, aux États-Unis.

« Avec un profil de stress généré qui s’étend sur près de 150 ans, nous avons montré que ces baleines ont subi un « stress de survie », ce qui signifie que l’exposition aux effets indirects de la pêche à la baleine, y compris le bruit des navires, leur proximité et le harcèlement permanent, a eu pour conséquence des [niveaux] d’hormones de stress élevés chez les baleines parcourant de longues distances », poursuit le scientifique.

Une méthode inédite

Pour parvenir à un tel résultat, le chercheur et ses collègues ont mis au point une technique novatrice, née il y a environ six ans, consistant à analyser le cérumen des baleines. Dans ces sécrétions auriculaires se trouve en effet un indicateur particulièrement précis de leur niveau de stress : l’hormone appelée « cortisol ».

En étudiant la cire d’oreille collectée depuis 1870 chez des rorquals communs, des baleines à bosses ainsi que des baleines bleues du Pacifique et de l’Atlantique, les biologistes marins ont pu dresser le profil temporel des multiples épisodes de stress auxquels ont été soumis les cétacés.

Exemple le plus éloquent : le pic de cortisol mesuré dans le cérumen datant des années 1960. À cette époque, la pêche baleinière était à son paroxysme avec la capture d’environ 150.000 animaux. Une chasse intensive responsable d’une augmentation des taux d’hormone de stress jusqu’à un niveau jamais vu durant tout le reste du XXe siècle.

Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale

Malgré une diminution de l’intensité de la pêche au moment de la Seconde Guerre mondiale, les niveaux de cortisol dans le cérumen des cétacés n’a – étonnamment – pas baissé outre mesure. Une observation surprenante que les chercheurs attribuent aux conséquences des combats navals sur la faune marine.

« Les facteurs de stress associés aux activités spécifiques de la Seconde Guerre mondiale pourraient avoir supplanté les facteurs associés avec la pêche industrielle à la baleine », avance Sascha Usenko, co-auteur de l’étude et maître de conférence en science de l’environnement au Baylor University’s College of Arts & Sciences. « Nous avons émis l’hypothèse selon laquelle les activités [pratiquées] en temps de guerre, telles que les détonations sous-marines, les batailles navales impliquant des navires, des avions et des sous-marins, ainsi que l’augmentation du nombre de vaisseaux, ont contribué à augmenter les concentrations en cortisol au cours de cette période de chasse à la baleine [moins intensive] », précise le chercheur.

Une pression anthropique toujours présente

Aujourd’hui, même si la tension mondiale est retombée, les menaces qui pèsent sur les baleines semblent toujours aussi fortes, comme le souligne Stephen J. Trumble :

« Depuis les années 1970 jusqu’aux années 2010, les quotas de pêche à la baleine ont été consignés comme nuls dans l’hémisphère Nord, mais les niveaux moyens en cortisol ont [continué à] augmenter régulièrement, avec des pics récents atteignant quasiment les niveaux maximum observés avant les moratoires sur la pêche à la baleine ».

Une tendance que le scientifique attribue volontiers à un phénomène désormais objet de toutes les préoccupations : le changement climatique.

« Dernièrement, les facteurs de stress liés à l’Homme tels que le réchauffement de la surface des océans peut également avoir eu pour conséquence un stress élevé chez ces baleines », estime Stephen J. Trumble.

D’espèces en danger, les baleines se muent ainsi en de véritables témoins des pressions humaines qu’elles subissent, comme le souligne finalement Sascha Usenko : « [Elles peuvent être] considérées comme des sentinelles de leur environnement et comme des indicateurs des facteurs de stress anthropiques et artificiels ». Des « sentinelles » si révélatrices, que les chercheurs prévoient désormais d’analyser une centaine d’autres échantillons de cérumen de baleines. Qu’elles ne se lavent pas les oreilles, décidément une véritable aubaine pour la recherche scientifique !

Source : MaxiSciences – Publié le 1er décembre 2018
Photo de une : Pixabay

 

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