L’afflux de baleines noires dans le Saint-Laurent en 2017 fut une surprise pour bien des gens. Des chercheurs de l’Institut Maurice-Lamontagne savent maintenant que cette migration est survenue deux ans auparavant.

Une étude récente publiée en décembre dernier par un groupe de quatre spécialistes de l’acoustique des fonds marins de l’Institut Maurice-Lamontagne démontre que la présence des baleines noires de l’Atlantique Nord s’est intensifiée dès 2015.

Ce premier changement de distribution des baleines noires de l’Atlantique Nord a été perceptible grâce à la surveillance sonore de l’équipe dirigée par le biologiste et océanographe, Yvan Simard, qui capte les sons du fond marin du Saint-Laurent depuis une quinzaine d’années.

Une technique sophistiquée

« On a développé des algorithmes performants pour pouvoir détecter de façon automatique la présence des sons qui nous intéresse. Parmi ces sons, il y a celui de la baleine noire », explique Yvan Simard.

Ces sons sont transposés visuellement, un peu comme une signature musicale sur une portée, ce qui permet de les repérer, illustre le spécialiste de l’hydroacoustique, Samuel Giard.

Ces séries acoustiques permettent de repérer le passage des baleines, mais il faut aussi évaluer la portée des systèmes d’écoute, précise le chercheur Florian Aulanier.

« C’est là que mon rôle a été de simuler la propagation du son autour des hydrophones pour savoir d’où dans l’espace ces détections pouvaient provenir. »

Cette technique permet aux chercheurs de « voir », jusqu’à des dizaines de kilomètres, où se trouve une baleine noire, fait valoir Yvan Simard.

« C’est un peu comme mettre un micro à un bout de l’île de Montréal et entendre les oiseaux à l’autre bout de l’île de Montréal et quelle espèce d’oiseau chantait à l’autre bout de l’île de Montréal, on fait aussi ça. »

La baleine noire est présente dans les enregistrements depuis le début, observe l’océanographe et physicienne, Nathalie Roy. Par contre, les transpositions sonores observées jusqu’en 2015, n’étaient le fait que de quelques individus.

Malgré ces grandes lunettes auditives, lors de la récupération des bandes, en 2016, la baleine noire n’est pas dans la mire de la recherche. L’intérêt était pour d’autres espèces.

2015 revisité pour comprendre la mortalité

Puis survient l’hécatombe de 2017. Douze carcasses de baleines noires sont repêchées dans le Saint-Laurent. Les chercheurs retournent alors vers leurs anciens enregistrements.

En 2015, la différence est marquante. « C’est vraiment là que ça a changé », indique Yvan Simard.

Elles étaient bien là, plus nombreuses depuis déjà deux ans. Le nombre moyen de leur présence sonore quotidienne au large de Gaspé a quadruplé après 2015 par rapport à 2011-2014.

L’écoute permet aussi de constater que le nombre de vocalises atteint son maximum entre le mois d’août et la fin octobre. Les premiers spécimens arrivent toutefois dans le Saint-Laurent dès la fin avril et les derniers individus, chassés par les glaces, repartent à la mi-janvier.

« Ce sont des informations qui n’étaient pas vraiment captées par les relevés aériens parce qu’ils ne couvrent pas tout le golfe du Saint-Laurent, tous les jours de l’année », note Nathalie Roy.

Les baleines semblent aussi fréquenter les mêmes sites d’alimentation. Aucune observation sonore n’a toutefois été détectée dans le secteur de Tadoussac.

Il n’y a pas d’appareils partout, souligne Nathalie Roy, et on ne peut donc pas faire une cartographie détaillée de sa présence. « Mais on sait qu’il y a des endroits où elle est plus présente que d’autres comme au sud du golfe et au large du Nouveau-Brunswick. »

L’intensité de fréquentation du golfe par la baleine noire semble stable depuis 2015.

Intelligence artificielle

Les systèmes ne permettent pas encore de dénombrer exactement le nombre d’individus ni de les identifier, mais d’autres études en hydroacoustique pourraient bientôt donner la réponse à ces questions.

« L’intelligence artificielle entre dans notre domaine et éventuellement, ce seront des choses qui seront possibles de suivre les baleines à la trace dans certaines régions particulières où on a un intérêt. On a déjà une proposition pour le faire pour la baleine noire dans le golfe du Saint-Laurent. »

La détection automatisée est aussi dans les cartons.

Cinq bouées ont d’ailleurs été équipées de détecteur et un système d’intelligence artificielle traite les informations qui sont ensuite transmises en temps réel aux chercheurs.

« On a une proposition qu’on a faite pour avoir un système plus performant pour surveiller de grandes zones où on sait que les baleines sont plus présentes comme entre les Îles-de-la-Madeleine et la Gaspésie et entre la Gaspésie et l’île d’Anticosti. »

Ces détections pourraient prévenir notamment les collisions avec les navires dans la Voie maritime du Saint-Laurent.

Un monde qui s’adapte

C’est pour percevoir de nouvelles variations dans l’écosystème que l’équipe écoute aussi le fond de la baie d’Hudson et se penche sur la distribution des baleines en Arctique.

La présence de la baleine noire dans les eaux du Saint-Laurent, relève Yvan Simard, semble associée à une diminution de ses sources d’alimentation dans des secteurs traditionnels de fréquentation comme la baie de Fundy ou le long des côtes du Maine.

Cette diminution est possiblement liée, ajoute-t-il, au réchauffement planétaire.

« Si ce réchauffement planétaire se poursuit, il est possible que la nourriture dont elle s’alimente change aussi de région, comme on a des migrations vers le nord des espèces froides pendant que la planète se réchauffe. »

Et si vous vous demandez si les vocalises de la baleine noire sauront vous séduire, il se pourrait bien malheureusement que non. La baleine noire n’est pas une très bonne chanteuse, selon les observations. C’est vraiment monotone, toujours de manière un peu périodique, commente Samuel Giard.

Les plus beaux chants sont, paraît-il, ceux de la baleine à bosse et de la baleine boréale.

Source : Radio Canada – Publié le 26.12.19
Photo de une : Pixabay

 

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