Dans un nouveau « résumé » de l’étude d’impact de son projet Énergie Saguenay, GNL Québec admet finalement que le trafic maritime qui en découlera pourrait poser un « risque » pour le béluga et les autres cétacés du Saint-Laurent. L’entreprise affirme toutefois qu’elle pourra contrer ce risque, une affirmation remise en question par des experts du ministère de la Faune, mais aussi du transport maritime et des bélugas.

Le ministère de l’Environnement du Québec vient de mettre en ligne ce nouveau « résumé » de l’étude produite par GNL Québec pour documenter les effets potentiels de son projet d’exportation de gaz naturel liquéfié. Celui-ci impliquerait au moins 320 passages de navires méthaniers chaque année dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, soit au coeur de l’habitat essentiel protégé du béluga.

Le document, mis à jour à la suite des avis de différents ministères, précise ainsi que le projet, « en raison de l’augmentation de la navigation qu’il occasionne, est susceptible de comporter un risque pour le rétablissement de la population de béluga du Saint-Laurent ainsi que pour les autres mammifères marins s’y retrouvant ».

GNL Québec « reconnaît ce risque et est soucieux de prendre toutes les mesures viables afin non seulement de le réduire au minimum, mais de le transformer en opportunité », peut-on également lire.

Comment est-ce possible de transformer un « risque » pour une espèce en voie de disparition en « opportunité » ?

« Pour aller plus loin que l’évaluation d’impact environnemental et considérer le risque potentiel appréhendé sur le béluga du Saint-Laurent, nous avons mis en place une charte d’engagements environnementaux pour la protection des mammifères marins », répond la Directrice principale, affaires publiques et relations avec les communautés de l’entreprise, Stéphanie Fortin.

Elle précise que cette « charte » mise sur « l’avancement du savoir scientifique et des innovations technologiques », « l’adoption des meilleures pratiques », « la sensibilisation » et « la concertation avec les acteurs du milieu ». L’entreprise dit également vouloir travailler à la réduction globale de « l’empreinte sonore subaquatique des usagers du fjord du Saguenay ».

Doutes

Dans un avis d’expert du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs publié en même temps que le nouveau « résumé », on rappelle toutefois que « le bruit et le dérangement » causés par « la navigation marchande » constituent « une activité susceptible de générer des niveaux de bruits préoccupants pour le maintien de la qualité » de l’habitat du béluga, et notamment des femelles et des jeunes qui fréquentent assidûment le Saguenay.

Qui plus est, le ministère se questionne sur une affirmation de GNL Québec voulant que l’entreprise pourra imposer une limite de vitesse aux méthaniers qui remonteront le Saguenay, afin de réduire la pollution sonore. Or, cette pollution croissante représenterait le principal risque pour le béluga dans le Saguenay.

« L’initiateur du projet devrait expliquer comment la vitesse maximale de 10 noeuds pourra être respectée entre Les Escoumins et l’usine », précise le ministère dans son avis, qui souligne aussi que, « malgré la bonne volonté de GNL, certaines recommandations visant à ramener les risques à un niveau acceptable pour le béluga pourraient être difficiles à mettre en place ».

« Je doute beaucoup de leur capacité à imposer une limite de vitesse. Comment un client peut-il imposer des mesures coûteuses à un armateur, à moins d’être lui-même propriétaire de la flotte ? », ajoute Émilien Pelletier, membre du comité de coordination du parc marin depuis plus de 20 ans. Il faut dire que GNL Québec ne sera pas responsable du transport par bateau et de l’exportation du gaz naturel liquéfié. « Les mesures actuelles dans le parc sont volontaires, et il n’y a pas de pénalités pour les délinquants. Ce n’est pas une garantie très solide », souligne-t-il au Devoir.

Prudence

Spécialiste du béluga depuis plus de 35 ans et directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins, Robert Michaud estime qu’il faut être très prudent avant de conclure que cet accroissement de la navigation industrielle pourrait se faire en minimisant les risques pour le béluga, une espèce dont l’habitat est légalement protégé par les lois fédérales.

« Nous n’avons rien en main pour affirmer que l’impact sur les bélugas sera faible, comme le dit GNL Québec », souligne-t-il. « Les gens de GNL disent qu’ils peuvent mettre des mesures d’atténuation, mais l’efficacité et la nature de ces méthodes ne sont pas encore connues. Et tout cela n’a pas encore été évalué », ajoute M. Michaud.

Un projet financé par le gouvernement du Québec est d’ailleurs en cours jusqu’en 2023, en collaboration avec l’Université du Québec en Outaouais, afin de préciser la vulnérabilité de l’espèce à la pollution sonore.

L’automne dernier, les experts du gouvernement fédéral avaient par ailleurs soutenu que GNL Québec avait mal évalué les effets du projet sur le béluga. Le promoteur n’avait alors mené aucune étude pour tenter de trouver un emplacement qui serait situé en dehors de l’habitat essentiel du cétacé, alors que la Loi sur les espèces en péril l’exige.

Source : Le Devoir – Publié le 17.02.2020
Photo de une : Wikipédia

 

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