La migration des baleines fascine les scientifiques et les passionnés qui se demandent encore pourquoi ces géants marins parcourent des milliers de kilomètres chaque année. La réponse ? Se nourrir, se reproduire, et muer.

Des mois durant, de nombreuses espèces de baleines parcourent les océans du globe sur des milliers de kilomètres, rejoignant les eaux tropicales depuis les régions froides dans lesquelles elles se nourrissent. De l’Alaska à Hawaï, en longeant les côtes américaines, australiennes ou chiliennes depuis l’Antarctique, ces migrations ont été documentées de plusieurs façons. Qu’elles soient été suivies par des drones, des satellites, ou même grâce à leur chant et aux traces des cellules épidermiques qu’elles laissent sur leur chemin, les baleines gardent toujours secrètes les raisons pour lesquelles elles entament un voyage d’une telle ampleur. Ce mystère, des chercheurs américains et italiens ont entrepris de l’élucider dans une étude publiée dans Marine Mammal Science.

Se nourrir ? Se reproduire ? Protéger les petits ? Un débat qui ne s’éteint pas

Depuis plus d’un siècle, les biologistes marins s’accordent à expliquer la migration annuelle aller-retour des grandes baleines selon un schéma d’ « alimentation/reproduction ».

Ce qui est depuis longtemps observé, c’est que nombre de baleines se nourrissent en eaux de haute latitude avant de redescendre vers les eaux froides, ou elles mettent systématiquement bas. Bien que ce constat ne puisse être réfuté, puisque empiriquement prouvé par de multiples projets de recherche qui ont entrepris de suivre les populations migratoires, les avis scientifiques divergent quant aux raisons pour lesquelles ces cétacés géants préfèrent terminer leur cycle reproductif en milieux plus chauds. De nombreuses hypothèses se sont succédé pour tenter de rationaliser ce comportement, qui a pendant longtemps été principalement attribué au phénomène de « thermorégulation des baleineaux » en eau tropicale. Selon ce modèle, les petits accumulent beaucoup plus d’énergie dans les régions chaudes qu’ils ne pourraient le faire dans les régions froides, ce qui leur permet de l’utiliser plus tard à des fins de croissance et de développement. Ce déplacement annuel confère un véritable avantage de survie aux baleineaux d’eaux chaudes par rapport à ceux nés dans l’eau froide, qui se traduit à l’âge adulte par une plus grande taille, et peut éventuellement améliorer le succès reproductif. Il demeure toutefois un problème : les baleines sont beaucoup trop grandes pour que la thermorégulation en eaux polaires pose un défi physiologique insurmontable aux nouveau-nés.

Une théorie défendue par des scientifiques disputant cette première hypothèse voudrait que les adultes se déplacent afin de protéger leur progéniture des prédateurs plus abondants en hiver en hautes latitudes. Le débat alimenté depuis plus d’un siècle n’a donc pour le moment permis d’atteindre aucun consensus, indice pour Robert Pitman, et son équipe de l’Université de l’Oregon et de la Division des mammifères marins et des tortues de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), que d’autres pistes restent à explorer.

La « migration d’entretien physiologique » proposée pour les orques en 2011

Pourquoi, alors, entamer un tel périple ? D’autant plus que les cétacés jeûnent pendant des mois, de leur départ à leur retour, car les proies potentielles sont bien moins abondantes dans les tropiques ! D’après l’étude publiée dans Marine Mammal Science, la survie des baleineaux serait purement secondaire :

« Au lieu de migrer vers les tropiques ou les régions subtropicales pour mettre bas, les baleines se rendraient dans les eaux chaudes pour entretenir leur peau et trouveraient peut-être qu’il y a des avantages à porter leurs baleineaux pendant qu’elles sont là-bas », révèle Robert Pitman dans un communiqué.

En 2011, le scientifique et son collègue John Durban avaient mené une étude sur la migration des orques (Orcinus orca) au cours de laquelle ils avaient mis en évidence que certains migraient pour muer. Grâce à la présente étude, ils sont parvenus à généraliser cette hypothèse à toutes les baleines migratrices. De janvier 2009 à février 2016, ils ont suivi par satellite 62 orques individuels dans les eaux de l’Antarctique. Parmi eux, 30 individus de quatre écotypes différents (type A, B1, B2 et C) ont été identifiés comme ayant entamé une migration vers le nord. Un des spécimens a effectué deux migrations de ce type en cinq mois et demi, ce qui suggère que de telles migrations, 11.000 kilomètres aller-retour, pourraient être entreprises trois à quatre fois par an, et donc pas seulement en hiver, ce qui contredit la théorie de la thermorégulation des baleineaux. De plus, les chercheurs ont également photographié des nouveau-nés en Antarctique, indiquant que les baleines n’auraient pas besoin de migrer vers des eaux plus chaudes pour mettre bas.

Enfin, Durban et Pitman ont fait une étrange découverte. À peine revenus en Antarctique depuis les tropiques, le corps « propre » de certains orques se couvrait progressivement d’une substance jaunâtre bien visible, dont les animaux se débarrassaient mystérieusement dans les mois qui suivaient. Cette matière, c’est une pellicule de diatomées, des microalgues unicellulaires enveloppées par un exosquelette siliceux, dont les orques se sépareraient en muant. Et ces biofilms de diatomées ont été observés sur bien d’autres espèces de cétacés que les orques, suggérant une universalité de cette nouvelle théorie : la « migration d’entretien physiologique ».

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Publié le 02.03.2020
Photo de une : Pixabay

 

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