La pêche à l’arrêt, le transport maritime ralenti, des plaisanciers à quai… La crise du Covid pourrait avoir des effets bénéfiques pour la vie marine. Mais pour combien de temps ?

A bord du « One Cat », à quelques milles de Marseille (Bouches-du-Rhône), Antoine Thébaud écoute les cétacés de la Méditerranée. Le scientifique participe à la mission Sphyrna Odyssey Quiet Sea de la Fondation Prince Albert II de Monaco.

« C’est fascinant. Nous avons retrouvé des conditions proches d’il y a cent ans, avant l’industrialisation. Cette période très particulière peut aussi servir de point zéro pour mesurer l’impact humain sur les grands dauphins, les baleines à bec… » s’enthousiasme-t-il. « D’habitude, nous captons les chants des cachalots comme au travers d’une radio brouillée par le bruit infernal des navires. Cette fois, on assiste à un concert dans des conditions acoustiques parfaites ! » compare Philippe Mondielli, le directeur scientifique de la Fondation.

Le confinement qui s’est achevé n’a pas uniquement offert aux biologistes marins de meilleures conditions d’observation. Pour les animaux marins, ce retour inédit au monde du silence est aussi une libération alors que la pollution sonore cause un stress terrible, provoque des blessures, voire la mort.

« Particulièrement celle des navires militaires », précise Frédéric Le Manach, le directeur scientifique de l’ONG Bloom, contre la surpêche. « Ils utilisent des sonars très puissants que les mammifères fuient pour ne pas avoir les tympans percés. Des études montrent qu’ils causent des échouages en masse de baleines à bec de cuvier aux Bahamas, aux Canaries, en Grèce, en Italie ou en Espagne. »

Le retour des baleines ?

Ce n’est pas tout : à l’heure du confinement, on a vu des requins-marteaux dans la rade de Brest, des petites tortues sorties de l’œuf se précipitant en mer sur une plage habituellement bondée du Brésil. La vie marine a repris l’espace laissé libre par les humains du fait de la crise du Covid, exactement comme la faune sauvage en ville. En mer, la biodiversité profite probablement encore plus du confinement quasi global, car l’activité humaine y a un impact autrement plus important. Les porte-conteneurs entrent en collision avec les rorquals en Méditerranée, les plaisanciers bouleversent la maternité des baleines dans l’océan Indien, et les pêcheurs prélèvent massivement des poissons dans les stocks jusqu’en Antarctique.

Or, la pandémie mondiale a marqué un coup d’arrêt à la pêche. Pourquoi ? Parce qu’à bord des embarcations où les équipages travaillent collés-serrés, il est très difficile de respecter les gestes barrière. Et aussi parce que la consommation s’est effondrée.

« A la criée de Lorient, la semaine dernière, on observait 40 % seulement de l’activité », rapporte Alain Biseau, biologiste à l’Ifremer. « Il y a eu un précédent : la Seconde Guerre mondiale avait permis de retrouver des niveaux de ressources en poisson jamais vus depuis l’industrialisation. »

Mais, la pause du ballet des chaluts avait alors duré des années.

Cette fois, même si l’on ne sait pas exactement quand les pêcheurs vont pouvoir de nouveau lancer leur filet, « ce n’est qu’un court-circuit », plaisante Ludovic Frère Escoffier, spécialiste de la vie des océans au WWF France. Les espèces à « cycle de vie rapide », qui se reproduisent vite, comme les sardines, les harengs, les anchois, pourront tout de même en profiter un peu.

Le virus aura-t-il un impact au long cours ?

« On ne sait simplement pas, rendez-vous à la fin de cette année à l’heure du bilan, insiste Alain Biseau. Ce n’est pas parce qu’il y a moins de filets en mer, qu’automatiquement les populations vont remonter. Prenez une morue : sur la centaine de milliers d’œufs pondus, 3 à 10 deviennent des petits poissons. Ce n’est pas lié uniquement aux captures mais aussi à la quantité de plancton, à la température de l’eau… »

Par ailleurs, les ONG de protection de l’océan s’inquiètent pour « le jour d’après » :

« Bien sûr, il faut que les pêcheurs reprennent la mer, mais on sent la pression de la pêche industrielle pour obtenir des assouplissements des règles environnementales », pointe Frédéric Le Manach.

Dans l’océan Indien, des thoniers réclament ainsi de débarquer leurs observateurs, pourtant installés depuis 1982 pour empêcher les flottes de sous-évaluer leur prise ou de la falsifier.

Au niveau européen, le bras de fer commence déjà : certains réclament de pouvoir pêcher 25 % des quotas de l’année 2020 en 2021.

« Sur le papier, cela peut sembler logique, mais ça ne marche pas comme ça », plaide Ludovic Frère Escoffier. « S’il y a des quotas, c’est que capturer plus est dangereux. En France, un poisson sur deux seulement est pêché de manière durable. En Méditerranée, c’est un sur neuf ! »

A Monaco, Philippe Mondielli veut croire que ces belles images d’une nature marine retrouvée auront enseigné qu’« en mer, nous sommes des invités ».

« Dans le sanctuaire Pelagos pour les mammifères marins (NDLR : 87 000 km2 au large de la France, Monaco et l’Italie), on ne peut observer les cétacés qu’avec beaucoup de précaution… » précise-t-il.

Les plaisanciers ne devront pas oublier de respecter la distanciation sociale également avec ces majestueux voisins.

Source : Le Parisien – Publié le 17.05.2020
Photo de une : Pixabay

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