Le ministère des Pêches et des Océans du Canada (MPO) photographiera le Saint-Laurent pour une dernière fois en février pour une étude qui dresse l’inventaire des habitats de la population de bélugas afin de comprendre où ils séjournent en dehors de la période estivale.
Bien que la communauté de chercheurs ait réussi à définir précisément l’aire de distribution estivale des bélugas, la compréhension qui englobe l’habitat du béluga l’automne, l’hiver et même le printemps, demeure limitée.
La chercheuse et spécialiste des cétacés au MPO, Véronique Lesage, précise qu’en ayant des mesures de protection qui visent seulement les habitats d’été, les chercheurs ignorent la moitié de la vie des bélugas, les laissant vulnérables.
Il existe peut-être des secteurs où les bélugas vivent à d’autres moments de l’année qui sont exposés à des menaces qui contribuent à leur situation précaire. Mais si on sait où ils sont et quels secteurs sont importants pour eux, on pourrait poser des actions supplémentaires
, explique-t-elle.
L’étude, qui aura duré six ans en tout, a débuté en 2014. Trois ans après son commencement, le MPO conclut que les données concernant des observations, faites notamment dans la portion nord du golfe ou dans la péninsule gaspésienne, étaient insuffisantes pour dresser un portrait exhaustif des aires où se rassemblent les bélugas.
La démarche scientifique veut que l’on compile suffisamment d’observations à répétition de ces animaux grégaires pour conclure qu’un secteur est un habitat essentiel pour la population.
Le gouvernement fédéral a toutefois accordé du financement pour mener trois autres années d’inventaire au nord, au sud et à l’ouest de l’île d’Anticosti, afin de mieux savoir où le béluga passe le plus de temps pendant trois saisons.
On espère qu’on aura suffisamment d’informations cette fois pour bien cerner les aires d’hivernage, mais aussi au printemps et à l’automne.
Le dernier inventaire, conduit en février 2021, marquera la fin de l’étude. Le rapport final pourrait paraître en 2022, après avoir été revu par un comité national.
La chercheuse Véronique Lesage admet que l’étude nécessite des efforts de longue haleine. Afin de procéder à des relevés systématiques, le MPO nolisera deux avions pour réaliser des inventaires aériens sur plusieurs jours dans des conditions météorologiques difficiles.
On est dans des périodes où il n’y a pas toujours de belles journées pour sortir en avion
, fait-elle valoir. Les scientifiques doivent être méticuleux puisqu’il est facile de ne pas voir un béluga à travers les glaces du Saint-Laurent et parce que le mammifère marin se trouve bien souvent sous l’eau.
L’espèce mal en point
Les bélugas ne vont pas très bien
, s’attriste le président du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), Robert Michaud. Depuis une dizaine d’années, la population de bélugas est en déclin à raison de 1 % par année. Les chercheurs observent aussi une hausse de la mortalité chez les nouveau-nés et chez les femelles enceintes, ce qui hypothèque le potentiel de l’espèce de rebondir
, explique-t-il. La population de bélugas peut toutefois se remettre, selon Robert Michaud, mais son avenir est incertain.
Il reste environ 900 individus dans la population de l’estuaire, selon les données du MPO. Le dernier inventaire a été réalisé en 2019, mais les résultats demeurent inconnus pour le moment.
Comment expliquer la hausse de mortalité?
Robert Michaud vulgarise quatre hypothèses qui ont été retenues par la communauté scientifique qui étudie cette population pour expliquer la hausse de mortalité chez le mammifère.
Parmi les menaces croissantes figurent les contaminants, tels que les retardataires de flamme. Le béluga, la seule espèce de baleine qui vit à l’année dans le Saint-Laurent, serait plus touché par les contaminants présents dans le fleuve que les autres mammifères marins. Les contaminants pourraient perturber la régulation des hormones chez les bélugas et compromettre leur santé, mais également leur capacité de se reproduire.
Ensuite, les chercheurs doutent que la qualité et la quantité de nourriture disponible pour les bélugas soient suffisantes pour mener à terme le cycle de gestation. La surpêche et la destruction de l’habitat de multiples poissons de fond, notamment lors de l’aménagement de la voie maritime, au milieu du XXe siècle, ont contribué au déclin des stocks.
Puis, Robert Michaud rappelle que la pollution sonore fait partie des menaces qui pèsent lourdement sur l’avenir des baleines, notamment sur les bélugas du fleuve Saint-Laurent. Le bruit produit par de grosses embarcations peut empêcher le mammifère marin de chasser, puisque celui-ci utilise des sons pour repérer ses proies.
Les femelles bélugas, qui mettent bas durant l’été, peuvent aussi être dérangées par de petites embarcations qui s’approchent trop près d’elles et interrompre la mise bas. M. Michaud se questionne sur la possibilité de créer des refuges acoustiques pour tenter de préserver les aires d’habitat de la baleine durant l’hiver.
Enfin, le directeur scientifique du GREMM rappelle que les scientifiques ont noté une dégradation générale de l’habitat des bélugas liée au développement industriel. Avec l’étude menée par le MPO, les chercheurs tenteront également de vérifier si la disparition du couvert de glace peut entraîner des effets insoupçonnés sur les conditions de vie du mammifère marin.
Le dévoilement des résultats compilés par le MPO est bien attendu par Robert Michaud pour notamment valider certaines hypothèses en espérant élargir les mesures de protection en place.
Source : Radio-Canada – Publié le 20.01.2021
Photo de une : Steve Snodgrass (licence CC BY 2.0)
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