Lors du premier confinement, un silence inhabituel est tombé dans les rues… et dans les fonds marins ? Une mission baptisée Sphyrna Odyssey avait pour sujet l’écoute du milieu en mer Méditerranée de septembre 2019 à mai 2020. Soutenue par la Fondation Albert II de Monaco, elle a été pilotée par le Pr Hervé Glotin (CNRS-Université de Toulon) et a été présentée lors de la Monaco Ocean Week qui s’est tenue du 22 au 26 mars 2021.

Des missions pendant une dizaine de mois sans avoir à toucher terre

Afin de mesurer la densité et le comportement de plusieurs espèces de cétacés dans la Méditerranée, les chercheurs ont utilisé des navires particuliers baptisés SphyrnaALV, inventés et produits par l’entreprise Sea Proven. Ces navires laboratoires peuvent être équipés de capteurs, d’instruments de mesure et peuvent réaliser des prélèvements d’eau à intervalles réguliers. Ils sont en outre capables de transporter une tonne de charge utile. « De par leurs deux coques asymétriques, le tangage et le roulis des navires sont fortement diminués. Cela offre aux SphyrnaALV une stabilité extraordinaire mais également très peu de perturbations sonores et physiques par rapport aux instruments à bord », explique à Sciences et Avenir Antoine Thébaud, directeur général de Sea Proven. En outre, ils sont autonomes grâce à leur moteur électrique alimenté par une production d’énergie hybride : solaire, éolienne et hydrolienne. « Cela permet d’alimenter la propulsion des navires ainsi que l’instrumentation à bord et tout ceci sans aucune consommation d’énergie carbonée en opération, poursuit M. Thébaud. Tous ces éléments nous permettent d’opérer des missions en pleine mer à une vitesse de 5 nœuds pendant une dizaine de mois sans avoir besoin de toucher terre ». En outre, ils sont légers mais robustes. Une qualité nécessaire alors que les conditions hivernales peuvent être difficiles dans la Méditerranée.

Crédit : REMI DEMARTHON

Une pollution acoustique réduite durant le confinement

Lors de cette mission, les SphyrnaALV étaient équipés d’un laboratoire acoustique conçu par le Laboratoire d’Informatique et Systèmes (CNRS) et le laboratoire Scientific Microsystems for Internet of Things (Université de Toulon). « Un vaisseau-base, qui accueille l’équipe scientifique, recevait les ondes acoustiques envoyées en temps-réel par chaque SphyrnaALV », explique le Pr Glotin. Et d’ajouter : « La mission Sphyrna Odyssey a recueilli une grande quantité de données provenant de divers capteurs pour observer l’anthropophonie (le bruit produit par les activités humaines, ndlr), les données physiques et chimiques et l’ADN environnemental avant et pendant le premier confinement du Covid-19″. Les résultats obtenus montrent que le confinement a réduit significativement les pollutions acoustiques. L’activité humaine a particulièrement changé le long de la côte, l’accès aux plages ayant été restreint entre mars et mai 2020. Les chercheurs ont également noté une baisse significative de la pollution chimiques (hydrocarbures).

Mais ce n’est pas tout ce qu’a révélé la mission d’écoute. Les algorithmes éthoacoustiques utilisés par l’équipe du Pr Glotin permettent de calculer et de visualiser, en trois dimensions, le déplacement et l’orientation relative des mammifères marins dans plus de 1500 m de colonne d’eau. « Ces recherches ont conduit au développement d’un système qui contribue de manière significative à notre compréhension des nages abyssales de meute de cachalots », explique le scientifique. Les chercheurs ont surveillé ces cétacés, sans les déranger, lorsqu’ils plongeaient dans les eaux profondes. « Cela a permis de décrire le comportement des cétacés dans les abysses sur la base de leur écholocalisation, clic par clic, milliseconde par milliseconde, reprend le Pr Glotin. Cette haute résolution a été l’occasion de découvrir, pour la première fois au monde, une vue partielle de leur stratégie de prospection collaborative » pour la recherche de nourriture. Selon les données obtenues, il semblerait que les cachalots construisent « un maillage d’émetteurs-récepteurs à une distance d’environ 500 m les uns des autres ». Ainsi, « les informations engendrées par les sonars de chacun sont partagées par tous » ! Le chercheur espère que ces résultats « pourraient mener à moyen terme à de nouveaux critères concernant la pollution sonore et les systèmes anticollision des cétacés avec le trafic maritime ».

Source: Sciences & Avenir – Publié le 03.04.2021
Image de Une: Pixabay

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