La Liste rouge des espèces menacées de la Martinique vient d’arriver. Portant sur 427 espèces, elle documente les menaces pesant sur la biodiversité de la Martinique.  Entretien avec Florian Kirchner, chargé de programme « espèces » à l’UICN.

« L’évaluation de la Liste rouge des espèces menacées en France pour la Martinique a porté sur tous les vertébrés terrestres et d’eau douce – mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons d’eau douce -, quelques groupes de vertébrés marins – mammifères et reptiles -, ainsi que quelques groupes d’invertébrés – libellules et demoiselles, papillons, mollusques terrestres d’eau douce, une mante, des phasmes et deux familles de coléoptères », détaille Florian Kirchner, chargé de programme ‘espèces’ à l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). « Nous avons ensuite considéré toutes les espèces de chaque groupe et en avons obtenu 427 ».

Les chercheurs de l’UICN, de l’Office français de la biodiversité et du Muséum national d’Histoire naturelle ont évalué les menaces portant sur l’ensemble de ces espèces.

« 15 % des espèces indigènes sont menacées, qu’elles soient endémiques ou existent ailleurs dans les Antilles ou dans le monde », partage l’expert. « À savoir, la Liste rouge évalue uniquement les espèces indigènes, c’est-à-dire qui vivent localement de façon historique, et non pas les espèces introduites ». En plus, 15 espèces ont déjà disparu et 56 autres sont quasi menacées.

La liste rouge montre l’impact de l’homme

« La principale pression sur la faune sauvage en Martinique est de loin la destruction des habitats naturels à cause de l’urbanisation et de l’occupation humaine du territoire », analyse Florian Kirchner. « L’extension des zones urbaines et des aménagements routiers et portuaires, le comblement des mares et l’artificialisation des berges se font au détriment d’habitats naturels, en particulier des forêts du sud ».

Si la pollution n’est pas un enjeu majeur, elle reste une menace importante pour les eaux douces. Les rejets d’eaux usées et les pesticides constituent un facteur supplémentaire dans les rivières et les mares. Il reste notamment quelques progrès ponctuels à réaliser sur l’assainissement dans certains secteurs de l’île.

« Au-delà de la chlordécone, un pesticide désormais interdit, mais qui pollue encore les sols, il y a des cultures très étendues en Martinique, notamment de bananes et de cannes à sucre, avec des doses d’intrants importantes dans certaines pratiques agricoles », précise Florian Kirchner.

La pollution lumineuse, découlant de l’urbanisation croissante, compte aussi parmi les menaces. Celle-ci est néfaste pour les espèces nocturnes, comme les chauve-souris et le murin de la Martinique. Elle l’est aussi pour beaucoup d’insectes comme le dynaste Hercule. Sur les plages, la pollution lumineuse désoriente les tortues marines.

Encore plus d’activités humaines pour davantage de menaces

La deuxième grande menace provient d’activités humaines variées.

« Une série d’activités humaines comme la chasse, la pêche et les activités touristiques peuvent causer des problèmes à la faune en absence d’encadrement suffisant », poursuit Florian Kirchner. « Sur les plages, la fréquentation touristique menace des sites de nidification d’oiseaux marins. En mer, les touristes perturbent parfois les tortues et les mammifères marins ».

Il y a en plus du braconnage pour le prélèvement d’œufs d’oiseaux ou de tortues marines. Toutefois, la menace reste difficile à évaluer.

Les espèces marines cumulent de nombreuses menaces. Elles s’enchevêtrent dans les filets et peuvent être percutées par les navires de plaisance ou de commerce. Elles sont en plus victimes des déchets et des pollutions. Si les déchets ne constituent pas un sujet principal sur terre, les tortues marines et oiseaux marins sont sérieusement victimes des macro-déchets plastiques.

« Lorsque l’on regarde l’état de santé des vertébrés marins – mammifères marins, tortues marines, oiseaux marins -, c’est quelque chose qui revient assez régulièrement », raconte Florian Kirchner. « Cela se voit lorsque l’on a des oiseaux ou cachalots échoués, car on retrouve couramment des quantités importantes de plastiques dans leur corps qui souvent ont causé la mort ».

Les espèces invasives et le changement climatique

Comme la plupart des îles, l’introduction d’espèces exotiques pouvant devenir envahissantes menace la Martinique.

« Il y a deux espèces exotiques que tous les Martiniquais connaissent : le rat noir et la petite mangouste indienne qui menacent plusieurs espèces par leur prédation, notamment le moqueur gorge-blanche, un oiseau endémique en danger critique d’extinction qui ne vit que sur la presque-île de la Caravelle », partage Florian Kirchner.

La Martinique est une île volcanique, située dans une zone tropicale. Dans les décennies à venir, le réchauffement climatique pourrait principalement avoir des impacts sur les espèces en altitude. La Martinique compte deux types de hauts-reliefs : des pitons au centre de la Martinique et la montagne Pelée.

« Nous craignons que des espèces qui ont de petites aires de répartition sur ces reliefs soient contraintes de migrer en altitude à cause du réchauffement climatique », prévient Florian Kirchner. « Nous pensons notamment au colibri à tête bleue et à une petite grenouille, l’allobate de Martinique, qui vit uniquement sur flans de la Montagne pelée à moyenne altitude. »

Ce travail donne les priorités de protection en matière de faune pour la Martinique. La Liste rouge devra conduire à de nouvelles actions de protection ciblées des espèces les plus menacées. Il s’agira de renforcer les programmes de conservation, les protections réglementaires et les aires protégées sur terre et en mer. En particulier, il faudra assurer les corridors écologiques entre les milieux naturels. Il faudra aussi mieux encadrer les activités qui entraînent des pressions fortes pour la faune. Citons la pêche, la chasse, les bateaux de plaisance et les activités touristiques en mer.

« Les associations pourront se servir de liste rouge pour plaider en faveur de la protection des espèces, les services de l’État s’en serviront pour publier des arrêtés de protection réglementaires », prévient Florian Kirchner.

Source : Natura-Sciences – Publié le 28.04.2020
Photo de une : Pixabay

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