Le Japon aborde en position particulièrement délicate la réunion de la Commission Baleinière Internationale (CBI) qui s’ouvre lundi 21 juin à Agadir au Maroc. La faute à une année 2010 catastrophique. Profitant des dérogations au moratoire de 1986 interdisant la chasse à la baleine, le pays poursuit ses prises menées à des fins dites « scientifiques ». Mais cette activité commence à diviser son opinion et surtout, le brouille avec plusieurs pays.

La contestation diplomatique est montée du Pacifique, que les baleiniers nippons écument pour leurs campagnes annuelles très controversées. Mercredi 16 juin, Palau, petit Etat insulaire du Pacifique qui, depuis son adhésion à la CBI en 2002, soutenait le Japon dans ses initiatives pour retrouver le droit de chasser la baleine à des fins commerciales, a décidé de ne plus le faire. Une décision prise trois jours après la publication d’un article par l’hebdomadaire Sunday Times, selon lequel plusieurs petits pays auraient obtenu d’importantes aides du Japon en échange de leur soutien à sa cause à la CBI. Les dirigeants de ces pays auraient même eu droit, selon le journal, à des parties fines offertes par Tokyo.

Plus grave, le Japon doit faire face au durcissement de la position de plusieurs de ses importants partenaires commerciaux, à commencer par l’Australie. Las des campagnes de chasse, Camberra a déposé plainte le 31 mai auprès de la Cour internationale de justice de La Haye. « Nous voulons que les baleines ne soient plus tuées au nom de la science dans l’océan Austral », a assené Peter Garrett, ministre australien de l’environnement.

L’Australie met en doute l’aspect scientifique de la chasse japonaise, qui ne présenterait en réalité « aucun intérêt avéré en matière de gestion et de préservation des populations de baleines ». Une position partagée par la Nouvelle-Zélande, qui pourrait également engager une action en justice.

Face à ces attaques, le Japon, qui a démenti les allégations du Sunday Times, a qualifié la décision australienne « d’extrêmement regrettable ». « Nous ne pouvons l’accepter, a déclaré Yutaka Aoki, du ministère des affaires étrangères, et nous répondrons avec fermeté à cette plainte. » Le 16 juin, Masayuki Komatsu, ancien responsable de l’Agence japonaise des pêches, a rappelé, au micro de la chaîne américaine ABC, que le Japon agissait conformément aux réglementations. Invoquant les observations réalisées par les baleiniers japonais sur les populations de cétacés, qui seraient importantes, M. Komatsu a déclaré que « le moratoire de 1986 n’avait plus aucune validité ». Pour lui, l’action intentée auprès de la Cour internationale de justice permettra de clarifier cette affaire.

La volonté de Tokyo de minimiser les tensions naissantes risque de ne pas véritablement porter ses fruits. Au Japon même, l’opinion qui, jusque-là – le plus souvent par manque d’information -, voyait dans les critiques contre la chasse à la baleine de simples attaques contre l’Archipel et ses traditions, commence à changer d’avis. « La perception de la population évolue, estime Sara Holden, coordinatrice pour Greenpeace, d’autant plus que le gouvernement a décidé de faire des économies budgétaires, et que ces campagnes coûtent aux contribuables 800 millions de yens (7,1 millions d’euros) par an, sans rien rapporter. »

Un argument à ajouter aux excès observés. Depuis la reprise de la « chasse scientifique » en 1988, les Japonais ont pêché près de 10 000 baleines. Mais peu de travaux de recherche ont été publiés. Quant aux ventes de viande de baleine, elles restent faibles, malgré des campagnes pour relancer la consommation. Les Japonais en consomment environ 50 grammes par personne et par an, contre 4,3 kg avant le moratoire de 1986. En 2009, malgré la baisse des prix de la viande, les stocks ont atteint 4 800 tonnes. La prise de 506 baleines pendant la campagne 2010 devrait les augmenter.

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Le procès de deux activistes de Greenpeace, accusés de vol alors qu’ils avaient mis en évidence l’existence « d’un véritable marché noir de viande de baleine », ajoute au trouble que suscite cette pratique. De même que l’arrestation de Peter Bethune, militant néo-zélandais de l’organisation de lutte contre la chasse à la baleine Sea Shepherd. Accusé notamment d’être monté sans autorisation à bord d’un baleinier nippon, il risque quinze ans de prison.

C’est dans ce contexte que la délégation japonaise arrive à la CBI. Sur place, elle discutera de la proposition d’avril 2010, rédigée pour calmer les tensions entre les nations membres. Elle prévoit le maintien du moratoire sur la pêche commerciale, sauf pour les pays chasseurs, le Japon, l’Islande et la Norvège, dont les quotas de prises seraient fixés par la commission. Un compromis paraît difficile, mais il semble que le Japon n’en a cure. D’ailleurs, la délégation envoyée à la CBI ne compte pas de très hauts responsables. Sûr de son bon droit, et au risque de pénaliser sa diplomatie, Tokyo prépare une nouvelle campagne pour la fin de l’année.

Source : lemonde.fr (19.06.10)

En savoir plus sur la CBI : La Commission Baleinière Internationale (CBI)… International Whaling Commission
Info précédente en rapport avec la 62ème réunion : Protection des baleines : le Maroc veut se positionner sur le plan international…CBI : la Suisse participe à la 62e session annuelle…La baleine à table et dans l’armoire à pharmacie…Le Japon pourrait quitter la CBI en cas de maintien du moratoire sur la chasse à la baleine…Palau contre la reprise de la chasse à la baleine…
Voir aussi : Le Japon accusé de corrompre des Etats pour leur soutien à la chasse à la baleine !

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