La ville japonaise de Shimonoseki est l’un des derniers bastions de la chasse aux cétacés. Alors que la bataille entre organisations écologistes et baleiniers fait rage, cette activité semble sur le déclin. Reportage.         

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    Les habitants de Shimonoseki se félicitent de l’activité prospère de leur cité, port d’attache des baleiniers japonais pêchant en Antarctique et ils s’étonnent de voir l’indignation que suscite aujourd’hui la pêche à la baleine en Australie, aux Etats-Unis et dans d’autres pays où elle était autrefois largement pratiquée. 

Pour plonger au cœur de la féroce bataille que mènent écologistes et baleiniers dans l’océan Antarctique, le journal The Australian s’est rendu au Japon, foyer traditionnel de la pêche à la baleine. 

Dans son bureau, le maire de Shimonoseki, Tomoaki Nakao, arbore une cravate ornée de baleines tenue par une épingle en forme de cétacé. Il l’a fait faire l’année dernière, explique-t-il, lorsque sa ville a accueilli les représentants des quelques pays pratiquant encore la pêche à la baleine (dont la Norvège et l’Islande). Puis il se lance rapidement dans un plaidoyer pour la tradition de cette pêche qui remonterait à près de deux millénaires dans la région. 
Au menu des cantines scolaires 
En 1987, l’adoption [par le Japon] du moratoire international sur la pêche commerciale a marqué la fin de la grande époque de la pêche à la baleine, pilier de l’économie locale depuis les années 1950. Shimonoseki reste toutefois le centre de la pêche “scientifique” [le Japon a mis en avant un objectif de recherche sur ces mammifères marins afin de justifier leur chasse] et son maire est bien déterminé à perpétuer cette tradition. “La pêche à la baleine fait encore travailler plus de 6 000 personnes ici, explique-t-il, et de nombreux habitants la considèrent comme un loisir. Nous sommes déjà le premier port de pêche à la baleine au Japon mais nous visons la place de numéro un mondial.” 
La ville de Shimonoseki, avec ses 280 000 habitants, est le dernier bastion de la pêche à la baleine au Japon. L’argent a coulé à flots pour aider au financement de divers monuments célébrant la pêche à la baleine ainsi que du musée qui abrite un gigantesque squelette de baleine bleue. Et si la boutique du musée vend des baleines en peluche pour les enfants, l’exposition explique très clairement que c’est seulement pour ses qualités gustatives et nutritionnelles que ce cétacé doit être vénéré. 
Les statistiques montrent toutefois une baisse de la consommation de chair de baleine et certaines études révèlent qu’à peine 1 % des Japonais en mangent régulièrement. Toutefois, la situation est différente à Shimonoseki. M. Nakao explique en effet que la viande de baleine a fait son retour dans les cantines scolaires de Shimonoseki et des villes voisines : près de 100 000 enfants en mangent tous les jours au déjeuner. 
Dans le principal quartier de restaurants de la ville, la plupart des izakayas (sortes de petites brasseries japonaises) et autres établissements proposent du kujira (chair de baleine) à leurs clients. Situé dans une petite allée, derrière deux portes en bois coulissantes, se trouve le restaurant Kujirakan, tenu par la famille Kojima. Entre deux sashimis et steaks de baleine, Junko Kojima explique que ce restaurant familial existe depuis trente-cinq ans et que les affaires continuent en dépit du moratoire. 
Maintenir la tradition 
“Les grandes pêcheries ont disparu après le moratoire, mais mon père a estimé que les petits commerçants, eux, pourraient continuer d’exister, explique Junko. La culture de la pêche à la baleine utilise toutes les parties de l’animal, c’est une des raisons pour lesquelles je veux maintenir cette tradition.” 
La plupart des plats proposés ici – cœur de baleine, cartilage de queue, intestins, mâchoire et autres morceaux moins exotiques – proviennent des missions dites “scientifiques” menées par les baleiniers japonais dans une zone considérée comme un sanctuaire, entre 40 et 60 degrés de latitude sud. 
Pour les palais occidentaux, la chair de baleine ressemble à celle du bœuf avec un fort arrière-goût métallique. Elle est dégustée en sashimi avec des sauces et condiments variées – soja, miso, vinaigre et huile de sésame. 
M. Nakao explique que, de l’autre côté de la mer du Japon, le port sud-coréen d’Ulsan accueille chaque année pendant quatre jours un festival de dégustation de viande de baleine qui suscite beaucoup moins d’attention que les baleiniers japonais. Cette remarque prouve qu’un compromis assez évident, par lequel le Japon se limiterait à pêcher dans ses eaux territoriales, permettrait de faire baisser la tension. Ce genre d’initiatives aurait d’ailleurs été soutenu par le gouvernement australien, ainsi que l’a révélé WikiLeaks. Pour l’heure, le Japon y reste néanmoins opposé. 
“Je comprends le sentiment du public en Australie, explique M. Nakao. Vous devez vous demander pourquoi nous descendons aussi loin dans l’océan Antarctique pour pêcher des baleines, non loin de votre pays. Mais ce problème devrait être réglé sur la base des lois internationales. Le programme scientifique est autorisé par la Commission baleinière internationale (CBI) [chargée de réglementer la chasse à la baleine depuis 1946].” En effet, l’alliance – stratégique aux yeux de certains – du Japon et de plusieurs pays en développement empêche toujours la Commission de réunir les 75 % de voix nécessaires pour mettre fin à ces missions “scientifiques”. 
De fait, aujourd’hui, la principale épine dans le pied des baleiniers japonais est l’organisation Sea Shepherd et son président, Paul Watson, militant canadien controversé. L’organisation – présentée comme “éco-terroriste” par les défenseurs de la pêche à la baleine – est vivement critiquée au Japon ainsi que dans certains pays occidentaux. Elle bénéficie toutefois d’un soutien et d’un financement croissants de la part des militants écologistes ainsi que de plusieurs stars de Hollywood. 
3 000 cétacés sauvés 
Les bateaux de Sea Shepherd ont commencé à affronter les baleiniers japonais à plusieurs milliers de kilomètres au large, loin de toute assistance. 
En fait, l’argent commence à manquer pour les baleiniers et la consommation de chair de baleine ne cesse de diminuer. D’après Junichi Sato, responsable de Greenpeace au Japon, la pêche aurait pu être annulée cette année sans la pression de parlementaires issus de circonscriptions côtières. M. Sato explique qu’il existe des divisions entre le ministère japonais des Affaires étrangères et le ministère de la Pêche : les diplomates en ont assez de devoir acheter des voix au sein de la CBI, dont les membres ont été éclaboussés par plusieurs scandales l’année dernière. 
A première vue, Sea Shepherd semble donc pouvoir remporter la bataille. Pour l’heure, l’organisation a déjà gagné celle des relations publiques : Watson affirme avoir réussi à limiter l’année précédente les captures de baleines à seulement 17 % de leur quota – qui est de 1 000 –, et souligne que son organisation a permis de sauver quelque 3 000 cétacés au cours des dernières années.
 

Source :  courrierinternational.com  (19.01.12)  Actualité récente en rapport : Les baleines toujours convoitées par les Japonais…     Le Japon sommé de rappeler sa flotte baleinière et d’abandonner l’industrie moribonde de la viande de baleine ! Sea Shepherd : l’association poursuivie par les baleiniers japonais ! Paris critique à son tour le Japon après l’ouverture de la pêche à la baleine… Action-minute – Aide post-tsunami : aidons les gens, pas les baleiniers – Signez la pétition ! Baleines : les Etats-Unis et trois autres pays condamnent la reprise de la pêche…

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