TAIJI, 21/09/2017 : Après quinze jours sans qu’aucun dauphin n’ait été massacré ou capturé, les choses ont pris ce jour une mauvaise tournure. A 5h30, douze bateaux quittèrent le port en quête de dauphins en migration. Trois heures plus tard, à 8h25, les chasseurs repérèrent leurs proies.
Voir les bateaux se déployer est toujours une source de stress. Quand les chasseurs ont la chance pour eux, cela signifie que les dauphins ont perdu leur bonne étoile. Un peu plus tard, vers 8h30, les bateaux commencèrent à rentrer au port. Je croisais fort les doigts, mais cinq minutes plus tard, mes espoirs furent balayés quand j’aperçus la formation en rabattage. Tout s’est passé très vite, et comme les bateaux se trouvaient dans la lumière du soleil, il me fut difficile de les observer avant qu’ils ne soient plus proches.
Je me suis rapidement positionnée sur la colline de Takanabe, prête à assister au pire. Au vue de la bataille sans relâche qui était en train de se dérouler, l’idée m’effleura l’esprit qu’il pouvait s’agir de dauphins de Risso. C’est une espèce qui plonge profondément, capable de retenir sa respiration durant trente longues minutes. Ils savent tirer avantage de leurs aptitudes, en nageant sous les bateaux pour gagner les eaux libres. Malgré cela, les bateaux ne lâchèrent rien et continuèrent leur course en poussant le groupe. J’ai aperçu les barques prendre la mer et venir en renfort, avec des chasseurs frappant l’eau à coups de rames pour effrayer les dauphins et les diriger dans la direction souhaitée. Face aux huit bateaux menant la battue et aux trois barques en renfort, les dauphins avaient peu d’espoir de s’en tirer.
A mesure que le groupe approchait de la baie, épuisé par le rabattage, j’ai pu constater qu’il s’agissait d’une petite famille de sept dauphins tout au plus. Quand j’ai vu les nageoires dorsales falciformes si familières, la peau grise recouverte de nombreuses cicatrices, et les têtes rondes et bombées, j’ai eu la confirmation qu’il s’agissait bien de dauphins de Risso. Cette espèce de dauphins souffre le martyre à Taiji. Lors de mes précédentes visites, j’ai assisté à beaucoup de leurs massacres. Ils sont rarement sélectionnés pour la captivité, et encore moins relâchés. C’est une espèce principalement chassée pour sa viande, et pour d’autres parties de son corps. Le quota de chasse pour la saison 2017/2018 les concernant est de 251. Deux cent cinquante et un de ces animaux incroyablement sensibles, intelligents et extrêmement sociables, pourront être exterminés. Et malheureusement, à chaque saison, les chasseurs remplissent quasiment leurs quotas. Aujourd’hui, les sept premiers dauphins de Risso ont succombé sous leurs mains.
Alors que dans la baie les dauphins étaient prisonniers des filets, et que les bâches étaient baissées dans la zone d’exécution de la plage, j’ai su que le massacre allait commencer. Durant un court instant, le groupe de dauphins a nagé ensemble. Ils étaient serrés les uns contre les autres, cherchant à se réconforter avant leur triste sort. Ils étaient de la même famille. Les dauphins étaient gris foncés, avec de petites cicatrices, indiquant qu’il s’agissait soit d’enfants soit de jeunes adultes. Nous ne saurons jamais si la famille était au complet, ou si d’autres membres se sont perdus en mer ou ont réussi à s’échapper. Ces chiffres ne seront jamais connus, ni additionnés aux quotas, bien qu’ils soient tout aussi tragiques…
J’entendis une barque s’approcher, et je compris alors la raison du délai quand je vis arriver des dresseurs du Taiji Whale Museum, parés de leur tenue habituellement bleue et orange. Ils passèrent sous les bâches, accompagnés des chasseurs, pour examiner les victimes de cette battue. Juste après, je repérai une barque quittant la baie, une sangle attachée à bâbord. Un dauphin de Risso fut sélectionné pour une vie en captivité. Pour cette âme malchanceuse, une vie de dépendance totale à l’humain était sur le point de commencer, sa liberté perdue à jamais.
Les dresseurs, censés aimer les dauphins, sont heureux de choisir ceux qu’ils veulent, mais ils sont prompts à tourner le dos aux autres, sachant pertinemment qu’ils seront massacrés. A Taiji, dresseurs et chasseurs travaillent main dans la main, et se trouvent derrière les bâches quand débute le massacre. Il n’y a pas d’amour, juste du business, du profit froid à l’état brut.
Alors que les dresseurs partaient accompagnés de leur nouveau captif, les chasseurs commencèrent à massacrer le reste du groupe. Quelques dauphins ayant fui la plage d’abattage furent finalement aperçus piégés dans les filets. Au lieu de continuer à fuir en lieu sûr et à nager vers la liberté, ceux-ci ont rebroussé chemin vers leur famille. La dévotion portée par les dauphins de Risso pour leur famille est admirable autant que déchirante.
Pour avoir vu des dauphins de Risso libres et sauvages évoluer dans l’Océan, il m’est impossible de comprendre qu’on puisse les approcher si près sans percevoir dans leurs yeux l’intelligence et la compréhension qui les habitent. Quand les derniers dauphins passèrent sous les bâches, alors qu’ils étaient assassinés, le bruit du claquement de leurs nageoires envahit la baie toute entière. C’est un son qui vous hante, et qui restera en moi le restant de mes jours. Ils peuvent certainement dissimuler les meurtres, mais ils ne peuvent pas les rendre silencieux. Seule la mort apporte le silence. Quand le claquement prit fin, je réalisai que ces dauphins de Risso étaient partis pour toujours, qu’un nouveau groupe venait d’être exterminé par les chasseurs de Taiji.
© Traduction : David Delpouy & Valérie Celton pour Réseau-Cétacés
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Source : Un article de Cynthia Fernandez – Publié le 21 Septembre 2017 sur le site du Ric O’Barry’s Dolphin Project
Crédits photos : Dolphin Project