L’unique entreprise de pêche au rorqual du pays reprend son activité le 10 juin, malgré les interdictions internationales et une baisse générale de la consommation de viande de baleine.
Avec ses 20 mètres de long en moyenne, le rorqual commun est le deuxième plus grand animal de la planète, après la baleine bleue. Ce cétacé, pourtant classé espèce en danger depuis 1996 par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, sera à nouveau chassé en Islande à partir du 10 juin. L’unique entreprise islandaise de chasse au rorqual commun, Hvalur hf, avait suspendu son activité depuis 2016, confrontée à des difficultés commerciales avec le Japon, son principal débouché. Elle a annoncé en avril qu’elle allait reprendre la chasse à partir du 10 juin, après avoir trouvé un accord avec le gouvernement nippon. Les quotas du gouvernement islandais l’autorisent à capturer 191 rorquals communs cette année. En 2015, lors de sa précédente saison de pêche, Hvalur hf avait tué 155 cétacés, atteignant un record. Pendant la suspension de son activité, la chasse à la baleine islandaise ne s’était pas arrêtée pour autant puisque le pays pêche aussi, dans des quantités moindres, le petit rorqual, dit aussi baleine de Minke, non menacé.
Un moratoire de 1986 a pourtant interdit la chasse à la baleine pratiquée à des fins commerciales, après la mise à mort de 2,6 millions de cétacés au cours du XXe siècle. Mais la Norvège et l’Islande ont officiellement repris la chasse, en 1993 et 2006, au nom de la perpétuation de leurs traditions de pêche et en affirmant que les stocks étaient suffisants. Le Japon, continue, lui, à la pratiquer sous couvert « d’études scientifiques » et attire la majorité de l’attention médiatique. C’est pourtant la Norvège qui est la plus active en la matière, avec près de 1 000 baleines l’an dernier, contre 333 lors de la dernière campagne de pêche japonaise. Dans les deux cas, il s’agit de baleines de Minke, l’Islande étant la seule à pêcher le rorqual commun.
« Cette activité n’a pas sa place dans les temps modernes »
L’annonce de la reprise de la chasse au rorqual a été largement critiquée par les associations de protection de l’environnement.
« Cette décision n’est pas fondée sur de réelles nécessités du marché et n’est pas en accord avec les sondages d’opinion sur cette activité, qui n’a pas sa place dans les temps modernes », a dénoncé Sigursteinn Másson, responsable de l’antenne islandaise du Fonds International pour la protection des animaux (IFAW).
En 1986, l’ONG de défense des océans Sea Sheperd, qui s’est aussi illustrée dans des actions contre les baleiniers japonais, avait coulé à quai deux des quatre baleiniers islandais. Les deux restants, « épargnés parce qu’il y avait des hommes à bord », selon l’association, continuent de chasser la baleine aujourd’hui.
Outre le caractère protégé de certaines espèces, c’est la mise à mort particulièrement violente des baleines qui suscite les critiques.
« Leur agonie est très longue. Quand les pêcheurs utilisent des harpons simples, la prise dure des heures, et la baleine s’épuise et se noie lentement », explique Benjamin Benti, doctorant à l’université de Strasbourg. « Il existe des harpons explosifs, développés pour tuer la baleine à l’impact. Mais les chasseurs les utilisent peu, parce qu’ils abîment la viande qu’ils ne peuvent ensuite plus vendre. Les baleines sont ensuite hissées sur le pont pour être découpées, parfois encore vivantes. »
Objectifs symboliques
La persistance de la chasse à la baleine est d’autant plus contestable qu’elle semble désormais répondre à des objectifs essentiellement symboliques de préservation des traditions. La consommation du cétacé est en net déclin dans les trois pays qui la traquent. L’Islande, comme la Norvège, exportent la majorité de leurs prises vers le Japon. La viande de baleine y est devenue le plat du pauvre après la Seconde Guerre mondiale, quand le pays, ruiné, a dû faire face à la pénurie alimentaire. En 1947, près de la moitié de la viande consommée dans le pays était de la baleine, riche en graisse et en protéines. Une pratique qui a commencé à chuter dans les années 80. Aujourd’hui les Japonais en consomment à peine 300 grammes par personne et par an, contre 30 kilogrammes dans les années 60.
De son côté, la Norvège a augmenté cette année ses quotas de chasse de 30% pour relancer une activité en berne : 1 278 baleines pourront être capturées, près de 300 de plus que l’an dernier. Mais malgré cela, le déclin continue : le nombre de baleiniers ne cesse de diminuer – ils n’étaient plus que 11 en 2017 –, comme celui des prises, qui ne remplissent plus les quotas. En Islande, une bonne part de la viande de baleine est destinée à la consommation touristique, puisque seuls 3% des Islandais affirment en manger régulièrement. Mais même celle-ci est en recul, selon une enquête de l’IFAW. En 2016, seuls 12% des touristes indiquaient en avoir mangé, contre 40% en 2009. Et ce alors que les sorties en mer d’observation des cétacés connaissent, elles, un engouement croissant. Si les baleines deviennent plus rentables vivantes que sous forme de brochettes, les derniers chasseurs rendront peut-être les armes.
Source : Libération – Publié le 08 juin 2018
Photo de une : Wikimedia