Pris au piège des filets destinés à la pêche du poisson totoaba, le marsouin du Pacifique, le plus petit des marsouins, est aussi devenu le cétacé le plus rare à la surface du globe.
Pas très loin des caraïbes, autrefois connue pour être la mer de prédilection du banditisme maritime, se déroule une nouvelle forme de piraterie. Cette fois-ci, dans le golfe de Californie, les batailles navales sont d’ordre environnementales et concernent un nouveau type de trafic.
En janvier 2019, le groupe environnemental Sea Shepherd a déclaré que ses navires avaient été attaqués par des braconniers de totoaba, un grand poisson argenté endémique du golfe de Californie et menacé d’extinction. L’ONG de défense des océans travaille avec la marine mexicaine – dont des zodiacs ont également été victimes de bombes incendiaires – pour protéger ce poisson prisé des trafiquants ainsi que le marsouin, le plus petit cétacé de la planète, victime de la pêche collatérale du totoaba. L’objectif ? Patrouiller dans le golfe afin de retirer les filets maillants qui risqueraient de tuer les quelque vingt derniers marsouins du Pacifique encore en vie sur terre. Cette guerre pour protéger la petite baleine fait par ailleurs l’objet d’un documentaire produit par Leonardo DiCaprio, Sea of Shadows, qui sera diffusé le 24 novembre sur National Geographic.
Le marsouin du Pacifique, aussi appelé vaquita qui signifie « petite vache » en espagnol en raison de sa taille ne dépassant pas 1,5 mètre, ne vit que dans le golfe de Californie. Sa population est passée d’environ 600 à moins de 20 individus entre 1997 et 2019. Et le lien entre cette hécatombe et les filets maillants utilisés pour la pêche du totoaba, déposés à la verticale dans la mer, est depuis longtemps établi. Sur les 128 vaquitas tués par des filets maillants entre 1985 et le début de l’année 1992, 65% venaient de prises destinées à la pêche du totoaba.
SEA OF SHADOWS – LE 24 NOVEMBRE À 20:40
La lutte contre le trafic du totoaba fait rage dans le somptueux golfe de Californie. Permettra-t-elle de sauver le marsouin du Pacifique, victime collatérale de la pêche au totoaba ? Découvrez le documentaire inédit Sea Of Shadows produit par Leonardo DiCaprio en exclusivité sur National Geographic.
Mais alors comment se fait-il que la pêche du totoaba ait encore lieu ? Comme souvent, la réponse réside dans l’offre et la demande d’un commerce juteux. La vessie natatoire du poisson, qui lui permet de ne pas couler en se gonflant et se dégonflant, est très prisée en Chine pour ses vertus médicales supposées. La conséquence : le développement d’un réseau criminel très organisé à la recherche de ce que les trafiquants appellent la « cocaïne des mers », dont le prix moyen au kilogramme atteint les 20 000 dollars. Ce puissant réseau, en général lié au trafic de personnes et de drogues, n’hésite pas à utiliser des filets maillants interdits depuis 2017 par le gouvernement mexicain.
Le mauvais coup de filet de la pêche collatérale
Mise à part la pêche illégale, il existe également une part de responsabilité dans la mauvaise gestion de la pêche légale. « Il y a eu des décennies de mauvaise gestion de la pêche dans la région. Les scientifiques ont averti pendant plus de 20 ans que les prises collatérales constituaient la plus grande menace pour le marsouin du Pacifique. Les marsouins sont morts dans des filets de pêche destinés aux crevettes, aux requins et aux totoabas », souligne Clare Perry, chef de campagne portée sur l’océan de l’Agence d’Investigation Environnementale (EIA).
Autre continent, autre golfe, même problème. Au large de la côte Ouest de la France, dans le Golfe de Gascogne, 4 000 dauphins communs auraient été tués par capture accidentelle en 2017. En cause, l’utilisation de filets « en bœuf » traînés par deux bateaux pour pêcher le bar qui partage sa zone nourricière avec le dauphin. Un enjeu de taille quand on sait que tous les cétacés sont protégés par la loi en France.
Pour Lorenzo Rojas-Bracho, directeur de recherche au Comité international pour la sauvegarde de la vaquita (CIRVA), il ne fait aucun doute que les prises collatérales sont le dénominateur commun dans presque tous les cas de petits cétacés menacés d’extinctions : « De 1990 à 1994, les captures collatérales mondiales de cétacés ont été estimées de manière prudente à 307 753 animaux. C’est de loin le plus important des facteurs de risque. »
Une protection rapprochée pour les espèces menacées
Quelques systèmes sont mis en place pour essayer d’endiguer les prises collatérales. Sur les engins de pêche, des répulsifs acoustiques sont installés pour garder à distance les cétacés. Mais cette technique est loin d’être suffisante.
Pour le CIRVA, la solution dépend essentiellement de l’élimination totale du filet maillant dans la région. Cela devrait passer par une meilleure collaboration entre organisations non-gouvernementales et l’État mexicain. Notamment via une protection renforcée par le gouvernement mexicain de bateaux retirant les filets et la présence d’un fonctionnaire de police directement sur les bateaux des ONG afin de faciliter l’arrestation des braconniers. Pour finir, il demande l’accélération et l’intensification des efforts pour mettre à la mer des engins de pêche alternatifs.
Les projets de mise en captivité des marsouins du Pacifique sont pour leur part plus compliqués. Les marsouins sont connus pour être des animaux très sensibles et leur nombre est trop faible pour tenter une expérience à grande échelle. En 2017, le projet VaquitaCPR visait à transférer la moitié des marsouins restants dans des enclos protégés jusqu’à ce que leur réintroduction dans un milieu sauvage sans risque tourne court. Lors de la capture de deux femelles, les petits cétacés ont montré des signes de stress. Elles ont été relâchées, mais l’une d’elles n’a pas survécu.
Malgré sa fragilité, il reste encore de l’espoir pour sauver le marsouin du Pacifique car leur extinction, comparée à celle d’autres espèces, n’est pas liée à la destruction de leur habitat. Le marsouin du Pacifique et le totoaba sont des exemples criants de la richesse de la biodiversité. Les deux espèces ont d’ailleurs la particularité d’émettre des sons propres à leurs espèces.
Le totoaba par exemple, émet un « croassement » en frottant sa vessie natatoire contre ses muscles abdominaux. Pour la vaquita, il s’agit de clics inaudibles par ses proies qui lui permettent de chasser sans se faire repérer. Un clic attentivement écouté par les scientifiques grâce à des hydrophones qui devraient leur permettre d’estimer leur population et in fine parvenir à mieux les protéger.
Source : nationalgeographic.fr, le 21.11.19
Photo : fr.wikipedia.org
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