Certaines résidentes du nord-ouest respectent difficilement la distanciation sociale, ce qui les rend vulnérables face à une épidémie d’un virus respiratoire hautement contagieux.
Ces résidentes sont des orques.
Le virus est appelé morbillivirus des cétacés.
Cet agent pathogène respiratoire, étroitement lié aux morbillivirus qui causent la rougeole et la maladie de Carré, a tué des milliers de dauphins sur la côte est, mais n’a pas encore été repéré dans le nord-ouest.
« Ces morbillivirus tendent à être sacrément mauvais », a déclaré Joe Gaydos, chercheur spécialiste des orques et vétérinaire de faune sauvage de l’Université de Californie à Davis.
Le morbillivirus des cétacés a été découvert dans les eaux californiennes, et est connu pour se propager entre mammifères marins.
« Tout comme le SRAS-CoV-2 passe des chauves-souris aux humains », a déclaré Joe Gaydos.
Le SRAS-CoV-2 est le virus à l’origine de la pandémie mondiale de Covid-19.
Les orques résidentes du sud passent une grande partie de leur temps dans les eaux de Washington, mais cette communauté en voie de disparition se retrouve également au sud de la baie de Monterey, en Californie.
« Il a un potentiel tellement élevé de propagation dans la population et de mortalité », a déclaré à propos du morbillivirus le biologiste Michael Weiss, du Center for Whale Research de l’île de San Juan. « Cela nous inquiète beaucoup. »
Les orques sont des animaux très sociaux. La plupart du temps, elles nagent et font surface en étant si proches les unes des autres, qu’une orque peut inhaler ce qu’une autre vient de souffler par son évent : le meilleur moyen de propager des maladies respiratoires.
« Ce virus ne manque pas d’occasions de passer d’un cétacé à un autre », a déclaré Michael Weiss.
Comme chez les humains, les orques socialisent plus avec certains de leurs pairs qu’avec d’autres. Les soixante-treize orques résidentes du sud nagent au sein de trois grands pods (J, K et L) réunissant, dans chacun, plusieurs petits groupes composés d’une femelle et de sa descendance.
La vie sociale des orques étant organisée autour de six petits groupes, des biologistes du Center for Whale Research et d’universités anglaises (Kent et York) ont voulu savoir si cette structure sociale pouvait « piéger » une maladie hautement infectieuse comme le morbillivirus avant qu’elle ne puisse infecter toute la population. Les chercheurs ont conclu que les chances étaient nulles
Les chercheurs se sont intéressés à des photos d’orques prises à la surface de l’eau, sur une période de cinq ans, afin de reconstituer les réseaux sociaux des résidentes du sud. Ils ont ensuite exécuté des modèles pour y simuler la propagation d’une maladie respiratoire.
Le résultat le plus probable était que 90% de la population était infectée.
« La structure sociale de cette population n’offre qu’une protection limitée contre les épidémies », ont conclu Michael Weiss et les coauteurs de l’étude publiée dans la revue Biological Conservation.
Bien que les orques se fréquentent surtout au sein de leurs six groupes sociaux, ces groupes avaient suffisamment de contacts entre eux pour permettre à la maladie de se propager dans la population.
Le modèle fait écho aux avertissements des épidémiologistes selon lesquels, chez les humains, même de faibles contacts entre les ménages, comme les visites occasionnelles ou les parties de jeu, peuvent anéantir les avantages de la distanciation sociale, cette dernière visant à freiner la propagation du Covid-19.
En ce moment, des chercheurs d’Hawaï mettent au point un programme de vaccination contre le morbillivirus pour protéger les phoques moines en voie de disparition, et des vaccins sont couramment utilisés pour prévenir les morbillivirus de la rougeole et de la maladie de Carré.
Mais il est peu probable que ces vaccins bénéficient aux orques.
Il est beaucoup plus facile de darder un phoque endormi sur une plage hawaïenne qu’une orque émergeant partiellement de la mer, pendant une poignée de secondes.
En outre, compte tenu de la densité des réseaux sociaux des résidentes du sud, les chercheurs ont estimé que plus de la moitié de la population devrait être vaccinée pour contrôler une épidémie de morbillivirus.
« Vacciner en toute sécurité cinquante orques en liberté est très probablement un objectif irréaliste », écrivent Michael Weiss et les coauteurs.
Les chercheurs ont conclu que la meilleure façon d’aider les orques à faire face à la menace d’une épidémie de morbillivirus est de les soulager face aux menaces qu’elles endurent déjà : la pollution, le bruit et surtout la faim.
« La seule façon de les aider est de préserver les stocks de saumon royal* : grâce à la restauration de son habitat, en examinant de nouvelles réglementations de pêche et en préservant le poisson dont ils se nourrissent, à savoir le poisson fourrage », a déclaré Michael Weiss.
Pour l’instant, ce travail de terrain a été en grande partie interrompu, les biologistes ayant été contraints de travailler à domicile, ceci afin d’éviter la propagation du coronavirus au sein de leurs réseaux sociaux humains.
*Note de Réseau Cétacés : aussi appelé saumon chinook ou saumon quinnat.
Traduction par Camille Le Boité pour Réseau-Cétacés d’un article de John Ryan, publié le 26 mai 2020 sur le site d’actualités américaines Kuow.
Photo : KUOW PHOTO/MEGAN FARMER