Les narvals vont devoir redoubler de prudence : dans l’Arctique canadien, la présence d’orques affamées, appelées arluut en dialecte inuktitut, est en hausse. Leur occupation du territoire s’intensifiera probablement à mesure que la couverture glaciaire s’amenuisera.

Selon une nouvelle recherche intitulée « L’abondance des orques et la prédiction de la consommation de narvals dans l’Arctique canadien », les orques présentes dans la région, dont le nombre actuel est inférieur à 200 animaux, auraient déjà consommé jusqu’à 1504 narvals au cours de leurs incursions annuelles au nord de l’île de Baffin.

C’est plus que le nombre de narvals tués chaque année par les chasseurs dans la région du Nunavut, en conformité avec le régime de gestion de ces cétacés.

Les informations obtenues par marquage et recapture ont permis d’estimer la population des orques. 63 orques ont été photographiées entre 2009 et 2018, ce qui a aidé l’auteur principal Kyle Lefort, chercheur et biologiste marin à l’Université du Manitoba, dans son analyse du goût des orques pour le narval dans une recherche publiée dans la revue Global Change Biology.

Sur la base de ces informations, Kyle Lefort estime le nombre d’orques entre 136 et 190 individus.

En s’appuyant sur des études antérieures et sur les connaissances des Inuits relatives à la prédation des orques envers les narvals, il a calculé que cette population d’orques pourrait consommer entre 1076 et 1504 narvals dans les eaux arctiques.

« La majeure partie des connaissances des scientifiques concernant les orques de l’Arctique canadien provient du savoir des Inuits », a confié Kyle Lefort à Nunatsiaq News.

« Par exemple, la durée de résidence des orques dans les eaux arctiques canadiennes, étudiée grâce aux données recueillies par le biais des connaissances des Inuits, a été utilisée pour estimer les besoins énergétiques saisonniers de la population. »

À la fin du printemps, environ 95000 narvals migrent vers les aires estivales au large de la côte nord de l’île de Baffin, puis retournent à la fin de l’automne vers les zones d’hivernage au large de la baie de Baffin.

Le réchauffement de l’Arctique offrirait aux orques un meilleur accès à une vaste étendue d’eau sur une saison plus étendue.

« Par conséquent, les orques peuvent se répartir plus loin dans l’archipel Arctique canadien, et y demeurer plus longtemps, comme cela a été documenté dans le nord de l’Arctique du Pacifique », a expliqué Kyle Lefort dans sa publication.

Au 1er juin, la glace de mer de l’Arctique était à son troisième niveau le plus bas jamais enregistré, et « la diminution de la couverture de glace de mer pourrait contribuer à l’augmentation du nombre d’orques visitant les eaux de l’Arctique canadien », a déclaré Kyle Lefort au journal Nunatsiaq News.

Il a expliqué que les orques pourraient se déplacer dans des zones jusque-là inaccessibles, et qu’une rupture anticipée de la glace et un gel plus tardif pourraient également contribuer à prolonger leur séjour dans ces eaux arctiques.

Les connaissances traditionnelles des Inuits montrent déjà une migration régulière des orques vers les eaux des régions du Nunavut et du Nunavik.

En 2005, une douzaine d’orques ont attaqué et tué plusieurs narvals sur une période de six heures à Kakiak Point, dans la baie d’Admiralty.

Une recrudescence d’orques pourrait impliquer davantage de mortalité chez les narvals et les forcer à se diriger plus au nord, dans des zones avec une couverture de glace de mer plus importante, a déclaré Kyle Lefort.

Kyle Lefort souligne également que le déclin ou la modification de la répartition des populations de narvals pourrait impacter la sécurité alimentaire.

Pour l’instant, il indique que les effets de l’augmentation du nombre de prédateurs dans cet écosystème marin restent « en grande partie méconnus ».

Kyle Lefort ajoute que de nombreuses questions demeurent sans réponse concernant les orques de l’Arctique canadien. « Notre équipe espère poursuivre ses recherches pour s’intéresser à ces données inconnues » conclut-il.

Traduction par Camille Le Boité pour Réseau-Cétacés d’un article de Jane George, publié le 2 juin 2020 sur le site d’actualités canadien Nunatsiaq News.
Photo : Kyle Lefort

 

 

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