Michael Lawry fait partie d’un petit groupe de privilégiés. Il a réellement vu des dauphins Māui.

Pas seulement un, mais un pod de cinq individus nageant au large de Manukau Heads, sur la côte ouest de l’île du Nord, près de la ville d’Auckland.

«Il faut avoir de la chance, mais ils sont là-bas», dit le militant écologiste, également musicien.

Pas seulement avoir de la chance, mais en avoir beaucoup. On estime à 63 le nombre de dauphins Māui, âgés de plus de 12 mois, qui vivent au large de la côte ouest de l’île du Nord, le long de laquelle ce petit dauphin (le plus petit du monde) se trouve traditionnellement.

Ils font partie des mammifères marins les plus rares du monde. Si rares qu’il est impossible de calculer les estimations du nombre de survivants à partir d’observations réelles d’individus, mais grâce à des extrapolations statistiques au moindre spécimen aperçu.

Leur nombre est donc une estimation. Ils pourraient être plus de 63, comme ils pourraient être moins. Les biologistes marins pensent qu’il y en a assez pour reconstituer leur population, tant que les décès évitables sont, par conséquent, éludés.

Cependant, la question est de savoir si l’ensemble de l’aire de répartition traditionnelle du dauphin doit encore être incluse dans cette restauration.

Car malgré tous les bateaux de pêche commerciale de la région de Taranaki ayant à leur bord des observateurs du Ministère des Industries Primaires, aucun dauphin Māui n’a été aperçu dans ces eaux au cours des huit dernières années.

Nul doute qu’ils s’y trouvaient. Leurs cadavres s’échouaient, ou ils étaient pris dans des filets de pêche. Ils étaient peu nombreux mais, ironiquement, assez pour prouver qu’ils vivaient réellement dans les eaux de la région de Taranaki.

Cependant, aucun dauphin Māui n’a été observé ces dernières années, et aucun n’a été capturé depuis près d’une décennie.

Pourtant, à compter du 1er octobre, et afin de protéger l’espèce, la flotte de pêche commerciale de la région de Taranaki n’aura plus le droit d’utiliser des filets fixes dans ses lieux de pêche les plus lucratifs.

Des restrictions similaires sont en cours de déploiement dans l’île du Sud pour protéger les dauphins d’Hector, étroitement apparentés au dauphin Māui, et beaucoup plus nombreux.

Les pêcheurs de la région de Taranaki affirment que les restrictions sont absolument inutiles. Les partisans de ces mesures soutiennent qu’elles protégeront les dauphins et, plus précisément, la réputation de l’industrie d’exportation de fruits de mer de Nouvelle-Zélande.

Dans un peu plus de six semaines, les filets fixes seront interdits à 12 milles marins, soit à 22 km de la rivière Waiwhakaiho à New Plymouth, au nord le long de la côte ouest. Au sud de la rivière, dans la ville de Hāwera, les interdictions de pêche au filet ont été repoussées de 3,7 km à 13 km.

S’ils veulent continuer à pêcher dans ces zones, les opérateurs de pêche commerciale devront plutôt utiliser les palangres, un changement qui, d’après eux, les mettra au pied du mur.

«La pêche à l’hameçon et à la ligne ne nourrira pas tout le monde», déclare Keith Mawson, propriétaire d’Egmont Seafoods, la seule entreprise de transformation de poisson de New Plymouth.

Il n’est pas non plus certain qu’elle fournisse la même quantité de poisson local à l’usine de Mawson et au commerce de détail de proximité.

Keith Mawson a longtemps été une voix frustrée dans la bataille pour des méthodes de conservation fondées sur des preuves.

Les dauphins ne sont tout simplement pas là, affirme-t-il. Pourtant, au cours des 17 dernières années, il a vu des restrictions de filet fixe commencer à 3,7 km du rivage, s’étendre à 7,4 km, puis à 13 km et maintenant à 22 km.

Chaque extension réduit la quantité d’océan que la minuscule flotte de pêche de la région peut exploiter avantageusement.

«Il en résultera que le consommateur n’achètera et ne mangera pas d’espèces traditionnelles comme le warehou bleu et le poisson citron que l’on aperçoit dans les boutiques de fish’n’chips. Ou bien le volume de poisson pêché sera moindre», déclare Keith Mawson.

Les restrictions ébranlent également la confiance de la petite flotte de pêche de la région de Taranaki. Les acteurs de l’industrie ne voudront pas rester. Et difficile d’espérer de nouveaux venus.

«Le résultat à long terme est que la pêche côtière aura disparu dans 10 ans», insiste Keith Mawson.

Cela n’inquiètera certainement pas Michael Lawry. Il a en tête un objectif bien plus grand que celui de la protection de l’industrie de la pêche artisanale de la région de Taranaki, et il considère même les nouvelles restrictions comme «totalement insuffisantes».

En tant que directeur général de la branche néo-zélandaise des militants écologistes de l’ONG mondiale Sea Shepherd, Michael Lawry fait partie d’une organisation qui fait pression pour obtenir des restrictions encore plus strictes pour protéger le dauphin Māui.

En juillet, Sea Shepherd a intenté une action devant la Cour du Commerce International des États-Unis pour pousser le gouvernement américain à bloquer les importations de fruits de mer de Nouvelle-Zélande, jusqu’à ce que les 63 dauphins Māui soient mieux protégés.

Cette «protection» signifie essentiellement que toute pêche au filet doit être interdite dans l’habitat des dauphins Māui – une zone fortement controversée.

L’action intentée s’appuie sur les dispositions de la Loi américaine sur la protection des mammifères marins (Marine Mammal Protection Act) qui entreront en vigueur en 2022.

Le texte oblige les États-Unis à interdire l’importation de tout produit de la mer en provenance de pays qui ne parviennent pas à empêcher les prises accessoires de mammifères marins, conformément à leurs propres normes.

Bien que la législation n’entre pas pleinement en vigueur dans les 16 mois à venir, ses dispositions peuvent être étendues à des espèces qui, autrement, disparaîtraient d’ici là.

Le dauphin Māui étant internationalement reconnu comme l’un des mammifères marins les plus rares au monde, le fait que la loi appuie l’action de Sea Shepherd est tout à fait discutable.

Fidèle à sa réputation d’ONG radicale, le groupe international de conservation marine Sea Shepherd se montre impitoyable.

L’équivalent de 2 millions de dollars de fruits de mer seulement, en provenance de l’habitat des dauphins Māui, est exporté. Mais le recours interdirait toutes les exportations de poissons de la Nouvelle-Zélande vers les États-Unis, d’un coût de 263 millions de dollars.

L’attention accordée par l’association Sea Shepherd aux dauphins Māui est directement liée au travail qu’elle a accompli pour protéger le marsouin du golfe de Californie (vaquita), en danger critique d’extinction.

Avec environ 6 à 10 individus restants, le dauphin au bec retroussé est presque condamné, sa population ayant été décimée par les filets maillants illégaux.

L’ONG Sea Shepherd ne veut pas que les dauphins Māui subissent le même sort, et la décision du gouvernement d’autoriser la pêche là où les dauphins pourraient potentiellement nager place l’économie avant la conservation.

L’interdiction n’impacterait pas les pêcheurs de la région de Taranaki, car ils n’exportent pas en Amérique.

Mais Keith Mawson explique que la pression politique entrainée par l’action n’aidera pas leur situation globale.

Il qualifie les actions du groupe d’«écoterrorisme extrême».

«Il n’est pas juste de comparer le sort du dauphin Māui avec celui du marsouin du golfe de Californie, victime de pratiques de pêche illégales qui n’ont pas lieu en Nouvelle-Zélande», déclare-t-il.

«Pourquoi devons-nous nous incliner face aux États-Unis pour veiller à notre propre environnement alors que nous avons fait preuve de responsabilité.»

Rob Ansley, un pêcheur commercial de New Plymouth, affirme que les nouvelles restrictions le pousseront vers des zones de pêche peu productives et peut-être hors du secteur industriel.

Le mois dernier, en 13 jours de pêche, il a remonté 12 tonnes de warehou bleu à l’aide d’un filet fixe.

En vertu des nouvelles restrictions, le coût surélevé dû à l’utilisation de méthodes de pêche différentes signifie qu’il devrait capturer 20 tonnes de vivaneau sur une palangre pour réaliser le même bénéfice.

«Pour le moment, nous pêchons au bord du récif à 5,5 milles marins. Au-delà du récif, plus loin, c’est le désert», explique-t-il.

S’il continue de pêcher plus près du rivage, Rob Ansley devra cibler le vivaneau, le hapuka ou le terakihi à l’aide de palangres.

Les pêcheurs commerciaux peuvent prétendre à des aides financières pour couvrir les coûts de conversion de leurs bateaux.

En juin, lors de la publication des détails du plan de gestion des menaces du dauphin Māui, Stuart Nash, le ministre des Pêches, a déclaré que l’argent pourrait également servir à changer de zone, ou sortir complètement du secteur industriel «si c’est l’option la plus appropriée».

L’interdiction de la pêche au filet fixe est peut-être la partie la plus importante du plan de sauvetage du dauphin Māui, mais ce n’est pas tout.

Aucun nouveau permis pour effectuer des relevés sismiques dans les zones de protection des mammifères marins ne sera accordé. De plus, le Département de la Conservation testera des solutions pour réduire ou éliminer la progression du parasite toxoplasmique nocif dans le milieu marin.

«Associées aux nouvelles mesures de gestion des risques non liés à la pêche, celles-ci nous donnent une meilleure opportunité de protéger ces dauphins emblématiques», a déclaré Stuart Nash.

Parce que malgré le faible nombre de dauphins Māui, Anton van Helden, le conseiller du ministère de la Conservation dans le milieu marin, affirme que les chiffres ne constituent pas un obstacle au rétablissement.

Le taux de rétablissement serait très lent, mais ça ne serait pas impossible, dit-il.

Une fois la menace de la pêche éliminée, environ 20 à 30 dauphins Māui doivent être vivants pour que la population se rétablisse, en tenant compte que les femelles vêlent tous les trois ans, a déclaré Anton van Helden.

On estime que l’espèce peut augmenter sa population de seulement 2% par an, soit un individu.

En l’état actuel, ces dauphins resteront parmi les plus rares du monde pour les décennies à venir.

Traduction par Camille Le Boité pour Réseau-Cétacés d’un article de Mike Watson et Matt Rilkoff, publié le 8 août 2020, sur le site d’actualités néo-zélandais Stuff.

 

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