Traduction par Camille Le Boité pour Réseau-Cétacés d’un article de Richard O’Barry publié sur le site internet du Ric O’Barry’s Dolphin Project.
Protocole de réhabilitation et de remise en liberté des grands dauphins de l’Atlantique captifs (Tursiops truncatus)
Il existe des critères généraux pour la réhabilitation et la remise en liberté des dauphins captifs, mais pas de guide complet ou de livre de recettes. C’est impossible, car chaque dauphin captif est unique, et nécessite son propre manuel.
Les dauphins réagissent différemment à la captivité. Certains ont subi davantage d’abus que d’autres. J’ai travaillé avec des dauphins qui, après avoir retrouvé la mer, se sont très vite rappelés qui ils étaient, et ce qu’ils étaient avant d’être capturés. D’autres avaient besoin d’un coup de pouce, de plus de temps. La patience est donc la partie la plus importante de mon travail. Je dois simplement m’asseoir et observer les dauphins, avec l‘esprit clair et ouvert, pour leur offrir une chance de me montrer comment les aider à retrouver leur identité de fouilleurs opportunistes, libres et sauvages.
Parce que chaque dauphin captif est unique, et différent de mille manières des autres, le retour à la nature, à son habitat naturel, relève donc plus de l’art que de la science.
Aperçu
Au cours des cinquante dernières années, j’ai participé à la réhabilitation et à la libération de plus d’une vingtaine de dauphins.
Cela ne signifie pas que tous les dauphins captifs peuvent ou doivent être renvoyés dans leurs habitats naturels. Tous les dauphins captifs peuvent cependant être réadaptés à un environnement plus naturel, un lagon marin par exemple. Un dauphin pourrait bénéficier des rythmes naturels de la mer, des marées, des courants et de la présence de poissons vivants. C’est une forme de thérapie et la qualité de vie du dauphin s’en trouve améliorée. La réunion du dauphin avec son environnement marin naturel est une partie essentielle du processus de réhabilitation et, à ce stade, le dauphin peut être candidat à la libération, en fonction de plusieurs facteurs.
- La santé et la condition physique
- La maîtrise du sonar
- La capacité d’attraper des poissons vivants
- Les compétences défensives face aux prédateurs
–
–
De nombreux dauphins captifs nés dans ce que nous appelons « la nature » sont candidats à la libération, mais pas tous. L’homme a laissé trop de traces sur certains dauphins, au point de leur faire oublier ou perdre les compétences nécessaires à leur survie dans ce qui fut autrefois leur maison. L’habitat dicte le comportement. La captivité a brisé quelque chose de vital dans leur existence, quelque chose que nous appellerions « l‘esprit » s’ils étaient humains. Pour eux, il est trop tard.
Il y a quelques années, par exemple, j’ai eu l’occasion de me pencher sur le cas d‘un dauphin à Nassau, aux Bahamas. Il était en captivité depuis longtemps et était devenu quasiment fou. Ils l’ont appelé Big Boy, et il passait la majeure partie de son temps à cogner sa tête contre la porte d’accès en bois de son enclos marin. D’un côté de cette porte se trouvait la zone où il était protégé, admiré et regardé avec fascination, parfois par des centaines de personnes. On lui donnait à manger tout ce qu’il désirait et il était clairement le maître de son monde. De l’autre côté, la mer, sa maison naturelle. Et un jour, alors que je le regardais frapper sa tête contre la porte, je me suis demandé s’il était possible de le réadapter à la nature.
Qu’arriverait-il si nous le laissions simplement partir ?
Autrefois, au Miami Seaquarium, quand nous n’avions plus besoin d’un dauphin, nous le mettions dans une civière de transport, l’emmenions à la digue et le jetions simplement dans la baie de Biscayne. Dans l’industrie de la captivité, on parle de ‘Dump and Run’ (« Jeter et partir »). C’est ce qui est arrivé à Pedro, par exemple, un énorme dauphin mâle devenu trop difficile à manipuler. Personne ne sait ce qu’il est devenu dans les eaux au large de Miami.
Mais Big Boy était un dauphin autrement problématique. La captivité l’avait psychologiquement handicapé. Je me disais que si nous arrivions à le réadapter, nous pourrions le faire avec n’importe quel dauphin. Mais plus je le regardais, et plus je réalisais qu’il était trop tard. Il avait trop encaissé. Je ne parle pas de mauvais traitements. Je n’ai jamais vu quiconque maltraiter délibérément Big Boy. En fait, j’ai vu l’inverse. Tout ce que j’ai vu, c’est un excès d’amour. Tout le monde voulait être avec lui, le toucher et lui parler; bref, tout le monde voulait « aider » ce vieux grand dauphin, mais personne ne savait comment. Et ainsi, jour après jour, toujours souriant mais plein de rage, le grand dauphin cognait sa tête comme pour se libérer à nouveau. C’était un dauphin stressé si peu coopératif, imprévisible, méfiant et dangereux, un dauphin si haineux que je savais que j’obtiendrais jamais rien de lui.
Comment en est-on arrivé là ? L’intervention de l’homme et le stress jouent toujours un rôle de premier plan dans la mortalité des dauphins captifs. Le stress est le résultat d’un espace insuffisant, de la fréquentation d’un trop grand nombre de visiteurs et d’être obligé, depuis trop longtemps, de faire le pitre. Il provient aussi d’une vie plongée dans un monde artificiel, sans marées, dénué des goûts et des sons de l’océan, privé de ce qui rend normalement la vie digne d’être vécue. Quand on tente de transformer des dauphins en animaux de compagnie, c’est toujours un échec. C’est difficile à réaliser quand cela arrive. Le dauphin semble vouloir être un animal de compagnie. Il sourit toujours – il semble rire. Il cherche à nous caresser et à jouer avec nous, tout comme un vrai animal de compagnie. Mais c’est une illusion. Les dauphins restent toujours sauvages, créés par la nature pour jouer un rôle dans la nature, pas pour jouer à des jeux stupides dans un petit bassin, dans le but de nous divertir.
Les exceptions évidentes concernent les dauphins nés en captivité. Leur « retour » dans leur habitat naturel est compliqué puisqu’ils n’en ont pas. Quelques-uns de ces dénommés « dauphins d’élevage », « dressés » à se comporter comme des dauphins sauvages, ont été relâchés en mer. Mais avant le suivi scrupuleux dans le temps de ce processus, il importe d’examiner chaque cas individuellement.
–
–
Connaître les dauphins dans la nature
La clé de la réhabilitation et du retour des dauphins captifs dans la nature consiste à savoir à quoi ressemble un dauphin dans son habitat naturel. Sachant cela, il est possible de reconnaître les comportements acquis par le dauphin en captivité.
Quels sont ces comportements ? Assistez à un spectacle de dauphins pendant cinq minutes et vous verrez pratiquement tout. Lorsque le dresseur arrive avec un seau de poissons morts, le dauphin tout excité nage en cercle. Il bondit hors de l’eau avec excitation, retombe et se positionne sur le dos, pataugeant avec sa nageoire caudale et battant ses nageoires pectorales comme s’il applaudissait. Lorsque le dresseur s’accroupit pour prendre un poisson, le dauphin nage jusqu’à lui et demande à manger, en produisant des bruits grinçants et en bougeant la tête de haut en bas, sans montrer la moindre crainte face aux centaines de spectateurs.
Cette attitude est apprise. Jamais un dauphin sauvage ne se comporte ainsi dans la nature, car ce serait inutile et dénué de sens. Cela dit, lorsque l’on réadapte le dauphin captif, ces comportements appris sont assez importants. En effet, nous devons les noter car en réapprenant au dauphin à vivre dans son environnement naturel, il nous est possible de suivre son évolution en éteignant un après l‘autre chacun de ces comportements.
Extinction de comportements
Lorsque nous parlons « d’extinction » de comportements acquis en captivité, il semble que nous jetions de l’eau sur un feu. En fait, il s’agit simplement de ne plus récompenser le dauphin lorsqu’il adopte ces comportements. Il a appris à les adopter en premier lieu parce que nous l’avons récompensé en retour. Lorsque le dauphin nage jusqu’à la zone de distribution de nourriture, lève la tête et la balance de haut en bas, en produisant des sons grinçants, nous l’avons récompensé pour adopter chacun de ces comportements en lui jetant un poisson. C’est ainsi que l‘on renforce le comportement d’un dauphin. Alors maintenant, si l’on souhaite neutraliser tel comportement, il faut arrêter de le récompenser. Et très vite, le dauphin renonce à l’adopter car il n’est plus récompensé, c’est un comportement inutile, à la fois en captivité, et dans le monde dans lequel on souhaite le voir vivre. Encore une fois, l’habitat dicte le comportement. En parallèle, un comportement qui a une valeur de survie dans la nature est renforcé et le dauphin, avec le temps, est prêt à retourner dans son habitat naturel.
Lorsque je constitue une équipe pour m’aider à réhabiliter un dauphin, je lui explique que notre travail de base consiste à « responsabiliser » le dauphin. Je lui précise que quand le dauphin est capturé, il perd ses facultés. Il est comme un prisonnier, et c’est maintenant à nous de lui rendre le contrôle. J’expose à l’équipe que pour remettre le dauphin là où il doit être, il faut garder trois choses à l’esprit.
- * Supposer que l’on ne sait rien
- Maintenir une observation prolongée
- Considérer ce qui est évident
Ces instructions sont subtiles et très difficiles à suivre, en particulier la première, surtout pour les dresseurs de dauphins. Avant que les dresseurs puissent entrer dans l’arène, ils doivent renoncer à leur propre comportement assimilé. C’est compliqué pour eux parce la totalité de leur expérience acquise avec les dauphins leur permet de créer un spectacle, et maintenant, il sont confrontés à la « réadaptation du spectacle ». Ils veulent en faire partie, et parfois ils semblent attendre des applaudissements. C’est à l’opposé de la manière dont nous préparons un dauphin à vivre dans son monde naturel. Nous ne faisons pas de spectacle. Nous organisons l’inverse d’un show, et moins nous en faisons, mieux c’est.
Il n’existe pas de raccourci dans la phase d’observation prolongée. Il ne s’agit pas d’une recherche mais d’une technique. Il faut manger et dormir en compagnie des dauphins, et être constamment avec eux. Nous appelons cette période le « temps des dauphins ». Comment en fait-on l’apprentissage ? Pas seulement par des lectures sur le sujet. Il faut l’expérimenter.
Comme pour tout le reste, qu’il s’agisse de science ou d’art, c’est un apprentissage avec quelqu’un qui sait déjà. Vous savez ensuite quand vous êtes en phase avec eux. On peut le sentir. S’ils gagnent ou perdent dix livres (4,5 kilogrammes), on le sait. Nous devons voir exactement ce qui arrive aux dauphins, pas ce que nous pensons qui arrive. Pour la plupart des gens, ce n’est pas facile.
Comme un exercice de relaxation, cette phase est non verbale. On s’abandonne pour ne faire plus qu’un avec le dauphin. Quand je m’y adonne, je vis dans une tente à proximité des dauphins et je me sens devenir une partie du paysage, comme un arbre parmi les autres, une feuille flottant sur l’eau ou un héron qui va et vient, tout simplement. Quand je ne réagis pas au « comportement appris » des dauphins, ils finissent par l’abandonner. Et je n’utilise aucun mot, dans tout ce que je fais. Je dois faire des rapports, bien sûr, et ce sont, avec les quelques directions que je donne parfois, les seules exceptions. Mais vivre en silence en compagnie des dauphins offre un aperçu d’eux qui, je pense, est nécessaire pour les comprendre et les aider à retrouver leur identité et leur nature. Nous pensons déjà savoir qui sont ces dauphins, parce que nous possédons leurs noms par exemple, nous savons d’où ils viennent, ce qu’ils mangent et combien ils pèsent. Mais rien de tout cela ne nous renseigne véritablement sur qui ils sont. À ce stade, pour les connaître, il faut aller au-delà des mots, au-delà des descriptions.
Il s’agit de se débarrasser, dans ce que nous accomplissons, des mots et des théories au caractère erroné. En renonçant à nos anciens raisonnements, par le rejet de nos théories pour y substituer nos certitudes tirées d’une observation prolongée, nous pouvons commencer à voir les dauphins tels qu’ils sont réellement. Nous sommes alors en mesure de mieux évaluer leur capacité de survie en retrouvant la nature.
Avant d’entreprendre quoi que ce soit, l’ensemble du Dispositif de Libération doit être en place. Il est composé de trois parties :
- Les bonnes personnes,
- Le processus de réadaptation et de libération, et
- Le suivi post-libération.
–
–
Les bonnes personnes
Le directeur de la Réhabilitation et de la Remise en liberté, qui est une autorité reconnue, connaît les dauphins à la fois en captivité et dans leur habitat naturel. Il ou elle se doit constituer une autorité car une grande partie du travail consiste à traiter avec les autorités locales et fédérales, et avec le public, par le biais des médias. Cette personne doit également avoir une expérience pratique relative à l’élevage des mammifères marins, aux soins, à l’alimentation et au transport des dauphins captifs.
Le gestionnaire de projet gère le personnel et les affaires quotidiennes, ce qui comprend la tenue des dossiers et la documentation du projet, ainsi que la gestion des procédures d’autorisations nécessaires. Cette personne détermine également une zone de libération appropriée et organise l’étude de la population des dauphins résidents à proximité du site.
Les aides et les bénévoles seront impliqués dans les études de population et le suivi post-libération des dauphins. Ils sont responsables de la capture mesurée de poissons vivants destinés aux dauphins.
Le vétérinaire responsable du Registre, un vétérinaire spécialiste des mammifères marins, devra évaluer la santé et la forme physique des dauphins, être présent pendant le transport, et être disponible en cas d’urgence.
La rééducation et la libération
Faut-il ramener les dauphins sur le lieu même de leur capture ? C’est souvent souhaitable, mais pas toujours nécessaire. Par exemple, si un dauphin mâle est capturé très jeune et est retiré de son groupe familial, il est peu probable qu’il rejoigne ce groupe plusieurs années plus tard. S’il n’avait pas été capturé, il ne serait probablement pas resté dans son groupe d’origine, car les dauphins mâles arrivés à maturité rejoignent généralement un nouveau groupe ou forment le leur. Il s’agit parfois d’un groupe de célibataires, avec des groupes de femelles et leur progéniture, ou des mâles et femelles voyageant ensemble. Nous sommes aussi parfois confrontés à des dauphins singuliers qui ont choisi d’être seuls ou ont été exclus de leur groupe.
C’est faire fausse route de penser qu’il faut ramener les dauphins sur leur lieu de capture. En effet, si l’eau du lieu de leur capture est devenue polluée ou empoisonnée en leur absence, ou si les poissons qu’ils mangeaient normalement sont moins abondants, nous ne voudrions pas les y ramener. Une recherche documentaire indique qu’il n’existe pas de données scientifiques empiriques pour étayer l’affirmation selon laquelle les dauphins doivent être ramenés à l’endroit précis de leur capture.
Les dauphins s’adaptent très facilement, ils peuvent aisément s’acclimater à un nouvel espace de vie s’il est similaire à leur zone de capture, en termes de marées, de courants, de température de l’eau, d’approvisionnement alimentaire et de prédateurs potentiels.
Notre équipe s’organisera pour capturer suffisamment de poissons locaux vivants pour que les dauphins puissent s’exercer à les attraper et à les consommer. Des tests de qualité de l’eau de la région auront également été effectués et seront disponibles.
L’alimentation
L’une des tâches les plus importantes dans la rééducation des dauphins captifs consiste à maintenir un régime alimentaire approprié. L’objectif principal est qu’ils gardent un poids correct en se nourrissant uniquement des poissons vivants qu’ils ont attrapés. Il s’agit d’un processus progressif qu’on peut schématiser en quatre phases.
- Encourager les dauphins à manger avec la tête sous l’eau.
- Éliminer l’interaction avec le nourrisseur en variant les horaires et les lieux d’alimentation.
- Les dauphins ne mangent que du poisson vivant.
- Et redevenir des fouilleurs opportunistes.
Dans la phase 1, toutes les activités sont effectuées à partir d’une station d’alimentation distribuant régulièrement des poissons, vivants ou morts, mais seulement quand les dauphins ont la tête sous l’eau. Nous continuons à leur donner des poissons morts à manger, mais nous incluons des poissons vivants, juste pour les familiariser. Les poissons sont jetés au hasard, à courte distance, puis à distance progressivement augmentée, tout en décourageant les dauphins de se nourrir avec la tête hors de l’eau.
Dans la phase 2, nous sevrons progressivement les dauphins de leur régime alimentaire habituel en jetant à la fois des poissons morts et des poissons vivants, à des endroits et des horaires différents. Nous restons désormais derrière un cache pour empêcher les dauphins de nous voir. Nous voulons éviter qu’ils associent l’alimentation au nourrisseur.
Nous jetons toujours des poissons vivants au centre de l’enclos de manière à ce que les dauphins aient plus de chance d’en attraper avant qu’ils ne s’échappent par la clôture.
Il est parfois nécessaire, au début, de plonger les poissons dans de l’eau glacée pour les ralentir, ce qui augmente les chances d’une chasse fructueuse pour les dauphins.
L’alimentation devient plus aléatoire et incertaine. Nous jetons désormais, à toute heure, des poissons morts et vivants, derrière un cache, y compris tôt le matin et après la tombée de la nuit. Dans l’eau, nous avons un hydrophone qui nous permet de surveiller l’utilisation du sonar par les dauphins pour trouver des poissons, en particulier des poissons vivants. Nous pouvons comparer les enregistrements audio des prises confirmées durant la journée avec celles de nuit.
Nous augmentons le nombre de séances de nourrissage, et nous diminuons la quantité de poissons par séance. Ces sessions sont brèves et rapides, effectuées à toute heure et en différents lieux, afin de décourager les dauphins de chercher le nourrisseur.
Dans la phase 3 (alimentation composée exclusivement de poissons vivants), nous devons d’abord nous assurer que nous pouvons fournir suffisamment de poissons vivants aux dauphins. Nous avons besoin d’une bonne source d’approvisionnement de poissons indigènes du site de libération. Nous analysons leur valeur nutritionnelle, et nous évaluons le régime alimentaire global des dauphins, en tenant compte de l’énergie nécessaire pour chasser les poissons vivants.
Tout en continuant à nourrir les dauphins à divers moments et à différents endroits, nous augmentons maintenant la proportion de poissons vivants. Lorsque les dauphins mangent principalement des poissons vivants, nous introduisons ces derniers par groupes de 10 ou 15 individus. La création de ces contingents de poissons ajoute du réalisme et force les dauphins à sélectionner la proie qu’ils chasseront.
Enfin, dans la phase 4, nous supprimons l‘intervention humaine dans l’alimentation et encourageons les dauphins à se nourrir seuls. Nous introduisons constamment des poissons vivants dans l’enclos et suivons le taux de consommation des dauphins. Dans leur régime alimentaire, nous remplaçons finalement les poissons morts par des poissons indigènes vivants tels que le mulet. Lorsque les dauphins sont prêts à s’aventurer hors de l’enclos, ils le montrent très clairement à qui sait lire leur langage corporel.
Le suivi post-libération
Les dauphins auront subi un marquage à froid durant l’étape de réadaptation, ceci afin de faciliter l’identification visuelle. Les dispositifs de radio-pistage ont été jugés invasifs et constituent des zones potentielles d’infections ultérieures. Par le passé, les appareils de radiotélémétrie ne se sont pas révélés fiables.
–
–
Lorsqu’on relâche un dauphin, tout doit être aussi naturel que possible. Depuis le début, nous constituons une équipe de pistage composée de gens qui évoluent sur l’eau, à savoir des pêcheurs et des opérateurs de bateaux. Nous leur parlons en personne. Nous leur communiquons ce que nous faisons à chaque étape, en particulier au sujet du marquage effectué sur la nageoire dorsale. Les pêcheurs et les opérateurs de bateaux ne font pas partie de l’univers de la captivité des dauphins, mais du monde de la mer. En disant aux pêcheurs ce qu’il se passe, ils sont alors de la partie. Ce n’est pas comme s’ils se joignaient à un événement. Ils connaissent les dauphins qu’ils voient tous les jours aussi bien que leurs propres enfants. Plus tard, lorsque nous avons enfin relâché le dauphin captif, quand ils le voient nager, ils nous le signalent et nous enregistrons qui a repéré le dauphin, où et quand, dans quelle direction il allait, et avec qui ou combien de compagnons. Nous sommes plus particulièrement intéressés par le moindre comportement inhabituel.
Si le dauphin quémande de la nourriture, par exemple, cela n’équivaut pas à un échec. Cela signifie que nous devons faire en sorte d’éloigner les gens. Lorsque le dauphin est libéré pour la première fois, c’est un moment particulièrement crucial. Il traverse une période d’ajustement. Il pourrait même manquer un repas. Jusqu’à ce jour, nous l’avons nourri régulièrement, autant qu’il le désirait. Il est trapu et impertinent. Maintenant, il doit se nourrir par ses propres moyens. C’est pour le dauphin le principal ajustement. Nous devons nous écarter de son chemin, et le laisser faire.
Laisser ce moment crucial se produire, c‘est tout l’intérêt de la réhabilitation et de la libération. Au début, on reçoit chaque jour des informations sur sa localisation, parfois même plusieurs rapports. On tient un graphique qui retrace ses déplacements. Sur la carte, il est tel jour à tel endroit, et à tel autre plus tard. Nous voyons des trajets. Cela signifie que le dauphin développe sa propre vie. Et après un certain temps – si nous le laissons tranquille – il va établir un nouvel espace de vie, à nouveau une vie naturelle, en liberté.
*Supposer que l’on ne sait rien signifie simplement que l’on ne doit pas supposer que le dauphin candidat est susceptible ou non d‘être relâché avec succès dans la nature. En d’autres termes, il faut garder l’esprit ouvert.
Photos : Dolphin Project.