Traduction par Camille Le Boité pour Réseau-Cétacés d’un article de Bob Jacobs, publié le 24 Septembre 2020, sur le site d’actualités The Conversation.

Hanako, une femelle éléphant d’Asie, a vécu pendant plus de 60 ans dans un minuscule enclos en béton au Inokashira Park Zoo, au Japon. La plupart du temps, elle était enchaînée et privée de stimulations. Dans la nature, les éléphants vivent en troupeaux et sont unis par des liens familiaux étroits. Hanako est restée seule les dix dernières années de sa vie.

L’orque Kiska, une jeune femelle, a été capturée en 1978 au large de l’Islande et emmenée au parc Marineland, au Canada, un parc d’attractions avec un aquarium. Les orques sont des animaux sociaux vivant en famille dans des « pods » (groupes) regroupant jusqu’à 40 individus. Mais depuis 2011, Kiska vit seule dans un petit bassin. Ses cinq petits, sans exception, ont perdu la vie. Pour lutter contre le stress et l’ennui, elle nage lentement dans des cercles sans fin et elle a rongé ses dents jusqu’à la pulpe contre les parois de son bassin en béton.

Malheureusement, de nombreux grands mammifères captifs endurent ces conditions qui se révèlent courantes dans le milieu de l’industrie du « divertissement ». À travers des décennies d’études consacrées au cerveau des humains, des éléphants d’Afrique, des baleines à bosse et d’autres grands mammifères, j’ai constaté la forte sensibilité de cet organe à l’environnement, y compris les lourdes répercussions d’une vie en captivité sur sa structure et son fonctionnement.

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Hanako, un éléphant d’Asie élevé au zoo du parc Inokashira, au Japon, et Kiska, une orque qui vit au parc Marineland, au Canada. Une image met en évidence les dents endommagées de Kiska. Éléphants au Japon (image de gauche). Orque captive dans l’Ontario (image de droite), CC BY-ND

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Impact sur la santé et modification du comportement

L’état de santé général de ces animaux et les conséquences psychologiques de la vie en captivité sont facilement observables. De nombreux éléphants captifs souffrent d’arthrite, d’obésité ou d’affections cutanées. Tout comme les orques, ils ont souvent de graves problèmes dentaires. Les épaulards captifs sont en proie à des pneumonies, des maladies rénales, des maladies gastro-intestinales et d’autres infections.

De nombreux animaux tentent de faire face à la captivité en adoptant des comportements anormaux. Certains développent des « stéréotypies » qui constituent des habitudes répétitives et sans but telles que le fait de secouer continuellement la tête, de se balancer sans cesse ou de mordre les barreaux de leur cage. D’autres, en particulier les grands félins, arpentent leurs enclos. Les éléphants râpent ou brisent leurs défenses. 

Modification structurale du cerveau

La recherche neuroscientifique précise que vivre en captivité dans un environnement appauvri et stressant endommage physiquement le cerveau. Ces altérations ont été documentées chez de nombreuses espèces, notamment les rongeurs, les lapins, les chats et les humains.

Bien que les chercheurs aient directement étudié des cerveaux d’animaux, la majeure partie de nos connaissances provient de l’observation du comportement animal, de l’analyse des taux d’hormones de stress dans le sang et de l’application des connaissances acquises au cours d’un demi-siècle de recherches neuroscientifiques. Les études en laboratoire indiquent également que la fonction cérébrale des mammifères détenus dans les zoos ou les aquariums est compromise.

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Cette illustration met en évidence les différences au sein du cortex cérébral des cerveaux respectifs d’animaux détenus dans des environnements appauvris (captifs) et enrichis (naturels). L’appauvrissement entraîne une atrophie du cortex, une diminution de l’apport sanguin, un support affaibli pour les neurones et une réduction de leur interconnectivité. Arnold B. Scheibel, CC BY-ND

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Le fait [pour les animaux] de vivre confinés dans des enclos stériles, avec une absence de stimulation intellectuelle ou de contact social approprié, semble atrophier leur cortex cérébral – la zone du cerveau impliquée dans le mouvement volontaire et les fonctions cognitives supérieures, y compris la mémoire, la planification et la prise de décisions.

Il existe d’autres conséquences. Les vaisseaux capillaires rétrécissent, privant le cerveau du sang riche en oxygène dont il a besoin pour subsister. Les neurones deviennent plus petits et leurs dendrites – les branches formant des connexions avec d’autres neurones – deviennent moins complexes, perturbant la communication au sein du cerveau. En conséquence, les neurones corticaux des animaux captifs traitent moins efficacement les informations que ceux qui vivent dans des environnements enrichis et plus naturels. 

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Neurone cortical authentique d’un éléphant sauvage d’Afrique vivant dans son habitat naturel comparé au neurone cortical hypothétique d’un éléphant captif. Bob Jacobs, CC BY-ND[

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La santé cérébrale est également affectée par le fait de vivre dans de petits bassins dont la taille ne permet pas la pratique d’un exercice nécessaire. L’activité physique augmente le flux sanguin vers le cerveau, ce qui nécessite de grandes quantités d’oxygène. Se dépenser physiquement augmente la production de nouvelles connexions et améliore les capacités cognitives.

Dans leurs habitudes de terrain, ces animaux doivent se déplacer pour survivre et parcourir de grandes distances pour se nourrir ou trouver un partenaire. Les éléphants voyagent généralement sur des distances de 24 à 193 kilomètres par jour. Dans un zoo, cette moyenne quotidienne est d’environ 5 kilomètres, avec généralement des déplacements au sein de petits enclos. Une orque libre étudiée au Canada a nagé 251 kilomètres en une journée, alors qu’un bassin moyen d’orque captive est environ 10 000 fois inférieur à son domaine vital naturel.

Perturbation de la chimie du cerveau et dépérissement des cellules

La vie dans des enclos, qui restreignent ou empêchent un comportement normal, crée une frustration et un ennui chroniques. Dans la nature, le système de réponse au stress d’un animal l’aide à échapper au danger. Mais la captivité piège les animaux sans quasiment aucun contrôle sur leur environnement.

Ces situations favorisent l’incapacité acquise, laquelle a un impact négatif sur l’hippocampe, qui gère les fonctions mémorielles et l’amygdale, qui traite l’émotionnel. Un stress prolongé élève les hormones du stress et endommage, voire détruit, les neurones dans les deux régions du cerveau.  Il perturbe également l’équilibre délicat de la sérotonine, un neurotransmetteur qui stabilise notamment l’humeur parmi d’autres fonctions.

Chez l’homme, la privation peut déclencher des problèmes psychiatriques, notamment la dépression, l’anxiété, les troubles de l’humeur ou le trouble de stress post-traumatique. Les éléphants, les orques et autres animaux à gros cerveau sont susceptibles de réagir de manière similaire à la vie dans un environnement extrêmement stressant.

Détérioration des connexions

La captivité peut endommager les circuits complexes du cerveau, y compris les noyaux gris centraux. Ce groupe de neurones communique avec le cortex cérébral le long de deux réseaux : une voie directe qui favorise le mouvement et le comportement, et une voie indirecte qui les inhibe.

Les comportements répétitifs et stéréotypés adoptés par de nombreux animaux en captivité sont causés par le déséquilibre de deux neurotransmetteurs, la dopamine et la sérotonine. Ce déséquilibre altère la capacité de la voie indirecte à moduler le mouvement, une condition documentée chez diverses espèces telles que les poules, les vaches, les moutons, les chevaux mais aussi les primates et les grands félins.

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Le cortex cérébral, l’hippocampe et l’amygdale sont physiquement altérés par la captivité, ainsi que les circuits cérébraux impliquant les ganglions de la base. Bob Jacobs, CC BY-ND

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L’évolution a façonné le cerveau des animaux pour les rendre extrêmement réactifs à leur environnement. Ces réactions peuvent affecter la fonction neurale en activant ou désactivant différents gènes. Le fait de vivre dans des circonstances inappropriées ou abusives modifie les processus biochimiques : il en résulte une perturbation de la synthèse des protéines établissant des connexions entre les cellules cérébrales et les neurotransmetteurs qui facilitent la communication entre elles.

Il existe des preuves solides que l’enrichissement, le contact social et un espace approprié dans des habitats plus naturels sont nécessaires aux animaux à longue durée de vie dotés de gros cerveaux tels que les éléphants et les cétacés. De meilleures conditions réduisent les comportements stéréotypés préoccupants, améliorent les connexions dans le cerveau et déclenchent des changements neurochimiques qui optimisent l’apprentissage et stimulent la mémoire.

Certaines personnes sont favorables à la détention d’animaux en captivité, affirmant qu’elle aide à préserver les espèces classées en voie de disparition, ou qu’elle apporte des bénéfices éducatifs aux visiteurs des zoos et des aquariums. Ces justifications sont discutables, en particulier pour les grands mammifères. Comme le démontrent mes recherches personnelles et le travail de nombreux autres scientifiques, le fait de mettre en cage de grands mammifères et de les exposer est indéniablement cruel sur le plan neurologique, car des lésions cérébrales en résultent.

Les perceptions du public à propos de la captivité évoluent lentement, comme le montre la réaction face au documentaire «Blackfish». Pour les animaux ne pouvant pas être en liberté, des sanctuaires bien conçus existent. Plusieurs accueillent déjà des éléphants et d’autres grands mammifères du Tennessee, du Brésil et du nord de la Californie. D’autres sont en cours de développement pour les grands cétacés.

Il n’est peut-être pas trop tard pour Kiska.

Le Dr Lori Marino, présidente du Whale Sanctuary Project et ancienne chargée de cours à l’Université Emory, a contribué à cet article.

Illustration de une : Photographie d’un cerveau d’éléphant. Dr Paul Manger / Université du Witwatersrand, Johannesburg, CC BY-ND

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