La chasse à la baleine, notamment au 19e siècle, a été une industrie majeure. Malgré la mort de millions de spécimens, les cétacés ne sont pas restés passifs face aux assauts de leurs poursuivants et ont rapidement appris à contrer leurs attaques…
Des registres du 19e siècle numérisés
Au 18e et au 19e siècles, les baleiniers d’Europe et d’Amérique du Nord se répandent comme une traînée de poudre dans les océans du monde entier. A bord de leurs puissants voiliers, ils ont ciblé notamment les cachalots (Physeter macrocephalus). Après en avoir trouvé, les baleiniers mettaient à l’eau de petites embarcations et ramaient jusqu’à leur cible. Là ils se saisissaient de harpons et tentaient de les planter dans la chair de l’animal. Les cétacés mis à mort étaient ramenés à bord du voilier puis « traités », c’est à dire découpés en morceaux pour le stockage à bord.
« Certains historiens ont suggéré que le taux de succès des baleiniers dans les petites embarcations, lors du harponnage des baleines, a considérablement diminué au cours des premières années d’exploitation industrielle », notent trois chercheurs dans une étude parue le 17 mars 2021 dans la revue Biology Letters. Etait-ce vraiment le cas ? Et dans l’affirmative, pour quelle raison ? Pour répondre à ces questions, les chercheurs ont exploité des registres numérisés remplis par des baleiniers américains lors de leurs pérégrinations dans le nord du Pacifique, des documents datant du milieu du 19e siècle.
Surpris, « les baleiniers eux-mêmes ont décrit des méthodes défensives »
Grâce à ses données, les scientifiques ont pu évaluer les taux de réussite lors du harponnage des cachalots. « L’analyse des données des journaux de bord numérisés des baleiniers américains dans le Pacifique Nord a révélé que le taux auquel les baleiniers réussissaient à harponner les baleines avait diminué d’environ 58% au cours des premières années d’exploitation dans une région », souligne l’étude. Les chercheurs ont suivi plusieurs hypothèses pour expliquer cette chute. Les baleiniers étaient-ils de moins en moins compétents ? Les auteurs en doutent : « Le fait que les premiers baleiniers du Pacifique Nord et ceux qui ont suivi plus tard ont eu un succès similaire dans d’autres océans, où les cachalots étaient généralement exploités depuis longtemps, plaide contre la diminution de la compétence des baleiniers entraînant la baisse du taux de harponnage », commentent-ils. Cette diminution est-elle survenue parce que les spécimens les plus faibles (jeunes, malades…) ont tous été touchés en premier ? Une modélisation de cette hypothèse ne permet pas de retrouver les bons chiffres. La seule explication qui corresponde est l’apprentissage social : les cachalots ont développé des mesures défensives et ce savoir a été transmis entre les individus.
« Les baleiniers eux-mêmes ont décrit des méthodes défensives qu’ils pensaient que les baleines adoptaient, notamment la communication du danger au sein du groupe social, la fuite ou l’attaque des baleiniers. Des plongées profondes auraient également été efficaces », notent les chercheurs. Les groupes naïfs, c’est-à-dire n’ayant jamais fait l’expérience des baleiniers, pouvaient néanmoins savoir comment leur échapper auprès des groupes plus expérimentés. Des changements de groupes auraient notamment permis « qu’un animal naïf soit regroupé avec un individu expérimenté lors de sa première rencontre avec des baleiniers ».
Une amélioration des navires et des outils a ensuite pu permettre aux hommes de reprendre le dessus. « La phase ‘moderne’ hautement mécanisée a été particulièrement intense vers 1950 et, à son apogée, a tué environ 25.000 cétacés par an, épuisant considérablement la population mondiale », selon l’Union internationale pour la conservation de la nature. Leur chasse commerciale intensive a pris fin en 1988. Ces animaux restent classés comme espèce vulnérable.
Source: Sciences & Avenir – Publié le 18.03.2021
Image de Une: Coll.Jaime Abecasis / Leemage via AFP
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