La France a annoncé de nouvelles mesures pour empêcher l’hécatombe des dauphins qui meurent par centaines dans le golfe de Gascogne. Mais selon les spécialistes, cela ne sera pas suffisant pour assurer leur survie.
Depuis 2017, les records s’enchaînent : les dauphins meurent par centaines dans le golfe de Gascogne. Sur les plages de la Bretagne à l’Espagne, la découverte de cadavres échoués rythme la vie des riverains.
« Depuis le 1er janvier 2021 jusqu’à la fin du mois de mai, on a recensé 700 échouages de petits cétacés » souligne Hélène Peltier, biologiste à l’Observatoire Pelagis, qui suit les populations de mammifères marins. En 2020, près de 1 000 dauphins ont été retrouvés échoués sur le littoral. Des chiffres jamais vus auparavant. « Sur les cadavres que l’on peut analyser, c’est à dire ceux qui ne sont pas trop décomposés, on constate qu’environ 80 % d’entre eux sont morts de captures accidentelles de pêche. Ils portent souvent les marques de filets. Les dauphins meurent asphyxiés : les filets les empêchent de remonter à la surface pour respirer.
En 2020, près de 1000 dauphins ont été retrouvés échoués sur le littoral. Crédit photo : Observatoire Pelagis.
En plus des échouages, il y a sûrement une part importante de ces dauphins qui coulent en mer » explique la biologiste.
Des répulsifs sonores
Dans ce contexte, la France a annoncé de nouvelles mesures pour espérer endiguer le phénomène. Depuis le 1er janvier 2021, la pose de répulsifs acoustiques (les « pingers ») est obligatoire sur tous les chalutiers pélagiques et ce toute l’année, au lieu de quatre mois par an. Ce dispositif envoie des ondes sonores aux dauphins pour les maintenir à l’écart des bateaux de pêche. Ils ont fait leurs preuves. « Ils réduisent 65 pourcent des captures » explique Alain Biseau, membre du Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM). Mais le débat n’est pas clos pour autant. D’une part, parce que les « pingers » sont efficaces sur les chalutiers, et pas sur les fileyeurs.
Or on compte autour de 80 chalutiers pélagiques dans la flotte française… Les fileyeurs sont environ 500 à sillonner le golfe de Gascogne. « Des collègues anglais ont testé les pingers sur les fileyeurs, et cela ne marchait pas. De toute façon, de manière un peu caricaturale, les dauphins se nourrissent au même endroit et au même moment que les bateaux qui pêchent. On ne peut pas imaginer empêcher ces cétacés d’accéder à des zones si grandes». Pour parer à ce problème, « les ingénieurs de l’Ifremer travaillent sur un autre répulsif, plus adapté aux fileyeurs » assure Alain Biseau.
Depuis le 1er janvier 2021, la pose de répulsifs acoustiques (les «pingers») est obligatoire sur tous les chalutiers pélagiques. Mais le débat est ouvert : à terme au lieu de repousser les dauphins, les pingers risqueraient de les attirer. Les associations de défense de l’environnement réclament des fermetures spatio-temporelles de la pêche sur les zones et périodes sensibles. Crédit photo : Sea Sheperd
Mais pour l’instant, sans dispositifs pensés spécifiquement pour ces bateaux, « on réduit globalement les captures accidentelles de 21 pourcent, et non plus de 65 pourcent » souligne le scientifique. Et 21 pourcent de captures en moins, ce n’est pas assez pour garantir la survie de l’espèce à long terme, selon une estimation. « Le dauphin est un prédateur dont la population met beaucoup de temps à se rétablir. Ils ont peu de petits, ils passent du temps à les élever » précise Hélène Peltier. Le pinger pourrait aussi, à terme, produire l’effet « Dinner Bell ». Autrement dit « la cloche du dîner ». Au lieu de repousser les dauphins, les pingers risqueraient de les attirer en signalant où se trouvent les poissons. Le phénomène a déjà été documenté chez les phoques.
Une interdiction de pêche ?
Pour les scientifiques du CIEM, deux semaines de fermeture de la pêche dans le Golfe de Gascogne, en plus de la pose de pinger, permettrait tout juste d’éviter de dépasser le seuil critique de mortalité. Mais tout cela étant basé sur les connaissances actuelles, il y a un risque élevé que les dégâts soient sous-estimés. « Si l’on rapporte les dauphins morts du Golfe de Gascogne à toute la population de Gibraltar jusqu’à la Norvège, même dans ce cas-là, la mortalité est déjà trop élevée » indique Hélène Peltier. Cependant, l’option d’une fermeture de la pêche n’a pas été retenue par le ministère de la Mer. C’est pourtant ce que réclame les associations de défense de l’environnement.
Environ 80 % d’entre eux sont morts de captures accidentelles de pêche. Ils portent souvent les marques de filets. Crédit photo : Observatoire Pelagis
« Nous appuyons l’avis scientifique, et nous voudrions qu’il y ait des fermetures spatio-temporelles de la pêche sur les zones et périodes sensibles » souligne ainsi Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd. Les pêcheurs en entendent difficilement parler. « Il y a ce qui est idéal et ce qui est acceptable économiquement et socialement, qui ne coûte pas trop cher à l’ensemble de la société » défend José Jouneau, président du comité régional des pêches des Pays de la Loire. Pour Sea Shepherd, il faut même aller plus loin. « Il est aussi nécessaire de revoir et interdire les méthodes de pêche non sélectives. S’il doit y avoir des filets, les longueurs et hauteurs doivent être drastiquement réduites et contrôlées. La pêche à la ligne peut être plus respectueuse, à condition de limiter le nombre et la taille des hameçons » poursuit Lamya Essemlali. Le CIEM n’a pas intégré ces possibilités-là dans ses études.
Un nouveau moyen dd’observation
En attendant, le ministère de la Mer annonce des campagnes pour affiner les données. « On a toujours besoin d’information, mais cela ne doit pas être une entrave et retarder la prise de mesures » indique Hélène Peltier. La nouveauté de cette année, c’est la présence de caméras embarquées à bord des bateaux. « Les caméras permettent d’observer n’importe quel bateau de pêche – les observateurs indépendants, eux, n’ont pas toujours la place de monter à bord ni les autorisations administratives » explique la biologiste.
Les dauphins meurent asphyxiés : les filets les empêchent de remonter à la surface pour respirer. Crédit photo : B. Martin/Observatoire Pelagis
Pour le moment, la mesure est limitée au volontariat : 20 navires doivent en être équipés d’ici la fin de l’année. Difficile pourtant de trouver des adeptes : seuls cinq navires sont déjà dotés de ces caméras, selon José Jouneau. « La pêche artisanale a toujours été un peu opposée aux caméras embarquées, pour de nombreuses raisons. C’est une intrusion à la vie privée à bord d’un navire, qui est déjà un endroit confiné » expose-t-il. Mais pour les scientifiques, l’enjeu est ailleurs. « L’important n’est pas de surveiller les pêcheurs mais bien de comprendre quel type d’engins de pêche génère des captures. Peut-être qu’avec ces connaissances, on pourrait avoir des solutions plus ciblées que des fermetures de pêche pendant l’hiver. Si l’on arrive à avoir des informations fines, on pourra aussi avoir des mesures fines» conclut Hélène Peltier.