Le manque de recherches sur l’alimentation des bélugas et d’autres facteurs empêche le rétablissement de cette population menacée.

Malgré la mise en place de moyens de protection il y a vingt ans, et d’un plan de rétablissement en 2016, les bélugas en voie de disparition qui vivent dans le Golfe de Cook, en Alaska, sont toujours en déclin.

La dernière estimation de la population – publiée en janvier, et basée sur une enquête de juin 2018 – compte à peine deux-cent-soixante-dix-neuf animaux, contre trois-cent-vingt-huit individus deux ans auparavant. Le National Marine Fisheries Service, l’agence fédérale chargée de la gestion des bélugas, a qualifié la situation de « préoccupante ».

Une nouvelle étude indique que l’accès réduit au saumon pourrait être une partie du problème. Néanmoins, les chercheurs estiment que beaucoup trop d’inconnues demeurent pour expliquer la situation critique des bélugas.

« Nous essayons de sauver une espèce et nous ne savons rien à son sujet », explique Bill Bechtol, un chercheur indépendant installé à Homer, en Alaska, qui a rédigé une partie du plan de rétablissement des bélugas.

Autrefois, les bélugas du Golfe de Cook étaient si nombreux qu’ils donnaient aux eaux une apparence de mer d’écume blanche. Mais leur nombre a rapidement diminué dans les années 1980 et 1990, en raison de la chasse de subsistance non réglementée. Les biologistes pensaient qu’une fois la chasse arrêtée, en 1999, la population de bélugas – alors estimée à trois-cent-soixante-neuf individus – se reconstituerait lentement. Au lieu de cela, leur nombre a continué de chuter.

Le Golfe de Cook se trouve à côté d’Anchorage, la ville la plus peuplée d’Alaska. Elle est ouverte au trafic maritime et accueille des activités telles que la pêche, l’industrie pétrolière et gazière. Les menaces potentielles pour les cétacés sont la pollution, le bruit, les maladies, les variations de nourriture disponible, et les modifications de l’habitat dues au développement ou au réchauffement des eaux. Le plan de rétablissement de 2016 conclut que malgré une impossibilité de le prouver d’une manière irréfutable, une combinaison de facteurs de stress pourrait être responsable de la faible régénération des bélugas.

Dans la nouvelle étude, Stephanie Norman, une chercheuse indépendante de la ville de Bothell, dans l’État de Washington, a examiné de plus près un des facteurs potentiels : le nombre de saumons qui reviennent frayer chaque année dans la partie supérieure du Golfe de Cook. Les bélugas se nourrissent de saumon près des embouchures des rivières, de mai à septembre.

Stéphanie Norman et ses collègues ont créé un modèle à partir de deux séries de données : le nombre de saumons royal* et argenté** dans un affluent du cours supérieur, et le taux de natalité des bélugas, déterminé par des relevés aériens. Ils ont trouvé une corrélation entre la présence d’un plus grand nombre de saumons dans l’affluent et une reproduction prospère des bélugas les deux années suivantes.

Les auteurs concèdent qu’à l’heure actuelle le lien est purement spéculatif. « Il s’agit d’un facteur potentiellement déterminant qui n’a pas vraiment été étudié auparavant », explique Stéphanie Norman. « Nous pensons que cela mérite au moins un coup d’oeil. »

L’analyse a nécessité « plusieurs hypothèses hasardeuses », explique Bill Bechtol. Il déclare cependant que cette approche est pertinente pour comprendre comment les ressources alimentaires des bélugas sont susceptibles d’affecter leur reproduction.

Des proies et des conditions différentes, hors période estivale, sont tout aussi importantes pour les bélugas, explique Brian Marston, biologiste spécialiste de la pêche au Département du Poisson et du Gibier de l’Alaska, et membre du groupe de travail sur les bélugas au sein de l’Etat fédéral. « On ne parle pas que de saumon. », dit-il. Brian Marston fait remarquer qu’au printemps, les bélugas dépendent du hareng et de l’eulakane*, un éperlan gras (Osmeridae) ciblé par la petite pêche commerciale. On en sait peu sur l’alimentation hivernale, bien que l’on pense que les bélugas se nourrissent d’espèces benthiques comme des poissons plats et des invertébrés.

La recherche sur les bélugas reste un défi. Les organismes gouvernementaux et fédéraux en charge de la gestion de la pêche et des mammifères marins ont subi d’importantes réductions budgétaires ces dernières années. L’étude aérienne sur les bélugas du Golfe de Cook, initialement prévue pour juin, a été annulée en raison de la pandémie du coronavirus. Un programme consistant à photographier les cétacés à partir d‘un petit bateau a également été repoussé, au moins jusqu’au mois de juillet.

Pendant ce temps, des menaces pesant sur le rétablissement des bélugas ne cessent d’augmenter. Les remontées du saumon royal en Alaska ont été faibles ces dernières années, probablement à cause du réchauffement des océans. L’été dernier, la rivière Deshka en Alaska a atteint une température record de 27,6°C, et dans certains cours d’eau, le saumon meurt avant le frai. Brian Marston s’attend à beaucoup plus de poissons morts à l’avenir. « On ne peut rien y faire. Il fait chaud. »

Traduction par Camille Le Boité pour Réseau-Cétacés d’un article de Nancy Lord, publié le 1er juin 2020, sur le site du magazine canadien Hakai Magazine.
Photo : Paul Wade/NOAA Fisheries

 

Notes de Réseau-Cétacés :

* aussi appelé saumon chinook ou saumon quinnat.

** aussi appelé saumon coho.

***  aussi appelé poisson-chandelle.

 

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